Jean-Baptiste Colbert, d’abord connu pour avoir été un des principaux ministres de Louis XIV, était aussi un collectionneur de « médailles », terme alors employé pour désigner les monnaies anciennes. Si cet intérêt peut refléter une inclination personnelle1, il tient du « vice à la mode » au XVIIe siècle, époque de la « République des médailles »2, plus encore sous le règne de Louis XIV, le roi numismate3.

Le docte attrait pour les médailles, alors hissé au même rang que les grands auteurs classiques comme source de l’Histoire4, ne dépareillait pas la stature d’un personnage si intrinsèquement lié à la représentation du pouvoir5. Au-delà de sa collection personnelle, Colbert exerça de 1661 à 1683 un contrôle étroit sur le Cabinet du roi, qu’il rattacha à la Bibliothèque royale dès 1667. En 1663, le ministre plaça Pierre de Carcavi à la tête de la collection de médailles du roi, l’homme ayant été auparavant en charge de la bibliothèque privée et donc des collections de monnaies du ministre. Cette organisation persista jusqu’à la mort de Colbert en 1683 avec, pour bilan, un accroissement spectaculaire des collections royales, désormais au premier rang en Europe6.

La collection de monnaies de Colbert
Colbert rassembla une importante collection qui comptait en 1683, pas moins de 5700 monnaies, dont une suite de plus de 450 monnaies d’or impériales et de nombreuses monnaies d’argent, soit une des collections les plus conséquentes du royaume7. Constitué sans doute dès les années 1670, cet ensemble s’organise de la même manière que la collection royale – de même que toutes les grandes collections de l’époque à vrai dire –, en suites par métaux et par modules : médaillons romains (à savoir les plus grands modules) ; grands, moyens et petits bronzes romains ; les séries d’or et d’argent consulaire (de la République romaine) et impériale ; les médailles et médaillons grecs ; les monnaies médiévales et modernes étant réduites à la portion congrue8. Tout porte à croire que l’accroissement de ces suites de monnaies a été mené parallèlement à celui de la collection royale, sous l’égide du seul Carcavi, l’homme de Colbert. Bénéficiant d’un accès aux mêmes réseaux d’approvisionnement que ceux mobilisés pour le roi, les séries du ministre furent aussi complétées par de nombreux échanges avec les doubles du Cabinet du roi9.
La collection de Colbert a été dispersée, mais sa composition et son ampleur est partiellement connue à travers le Catalogue des médaillons du Cabinet de Monseigneur Colbert, rédigé par l’abbé de Carcavi et conservé à présent à la Biblioteca Nacional de Madrid10

Ce document offre un précieux témoignage sur les goûts esthétiques et intellectuels de l’époque, révélant notamment une forte prédilection pour les monnaies romaines, particulièrement les séries impériales. Parmi les 68 médaillons recensés dans le registre conservé à Madrid, une seule monnaie est à proprement parler grecque (grand bronze ptolémaïque d’Égypte, voir ci-dessous) – tandis que les autres relèvent de la période romaine : 43 monnaies impériales et 20 provinciales, principalement originaires d’Asie Mineure. Quatre monnaies byzantines viennent compléter cet ensemble, formant un appendice chronologique évident.

Bien qu’il ne s’agisse que de pièces en métal courant, cette sélection de médaillons se distingue par leur format spectaculaire, propice au déploiement d’iconographies très riches. Nombre de ces objets, parfois davantage assimilables à des pièces de distribution à vocation commémorative qu’à des monnaies au sens strict, s’inscrivent pleinement dans l’esthétique et la fonction démonstrative des grandes collections de l’époque moderne. Cette préférence – voire cette priorité – accordée aux bronzes de grand module transparaît clairement dans les choix opérés par Carcavi : non seulement rédacteur du catalogue pour Colbert, il entama en 1682 la description du Cabinet du roi par cette même série11. La mise en page du catalogue elle-même reflète l’esprit du temps : chaque pièce illustrée est accompagnée d’une notice explicative, commentaire à la fois érudit et édifiant, mêlant considérations historiques et réflexions morales. Cette approche se retrouve également dans le projet de publication de la collection royale, engagé en 1686 à partir des planches gravées par André Morell12.

Choix de « médaillons » de Colbert
La collection de Colbert a été dispersée, et l’emplacement actuel de ses objets reste inconnu. Il est possible que certains soient aujourd’hui conservés au département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, héritier direct des collections royales, bien qu’aucun document ne permettent aujourd’hui de s’en assurer. Une recherche à ce sujet serait souhaitable. Nous présentons pour illustrer les médaillons de Colbert des exemplaires semblables à ceux identifiés dans le catalogue rédigé par l’abbé de Carcavi13.
L’attrait des médaillons réside dans la combinaison de portraits divins ou impériaux d’une grande qualité esthétique, associés à des scènes de revers à l’iconographie forte, allégorique, voire scénarisée. C’est tout d’abord le cas avec la superbe tête de Zeus Ammon associée à l’aigle de Zeus, debout sur un foudre, frappé à Alexandrie dans le dernier quart du IIIe siècle av. J.-C.14

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Drachme de bronze, Alexandrie (Égypte), règne de Ptolémée IV ou V, vers 220-197 av. J.-C. BnF, MMA, Fonds général 750
Le premier empereur de Rome, Octave/Auguste (27 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.) est naturellement bien servi – ici à Pergame, en Mysie – sur de larges sesterces d’orichalque, produits pour magnifier l’image du Princeps.

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Sesterce d’Auguste, Pergame, 27-23 av. J.-C. BnF, MMA, IMP-4591
Quant à Caracalla (211-217 ap. J.-C.), il est mis en scène de manière spectaculaire, notamment par un buste cuirassé orné d’une tête de Gorgone, associé à un revers où il préside un sacrifice dans l’Asclepieion de Pergame. Ce séjour de Caracalla à Pergame en 212 a été restitué sur une spectaculaire série de médaillons émis par la cité pour célébrer cette visite impériale. Cette suite, à l’iconographie très narrative, a donc été particulièrement recherchée par les collectionneurs de l’époque moderne15.

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8 assaria de Pergame (Mysie) au portrait de Caracalla, vers 214 ap. J.-C. BnF, MMA, Fonds général 1379
Au IIIe siècle, lors de la crise de l’Empire et de sa monnaie, fut frappée par Trajan Dèce (249-251) la plus lourde dénomination de bronze : le double sesterce. Dédié ici à Étruscille, la femme de Dèce, il célèbre la Pudeur de l’impératrice, dont on remarque que le buste diadémé est posé sur un croissant de lune, signe du doublement de la valeur de cette espèce.

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Double sesterce d’Étruscille, Rome, 249-251 ap. J.-C. BnF, MMA, Ancien Fonds 466
Dioclétien, puissant réformateur qui redressa l’Empire après la période troublée du IIIe siècle, est également présent, associé aux abstractions divinisées incarnant les trois Monnaies de l’Empereur (MONETA, or, argent et bronze).

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Médaillon de Dioclétien, Rome, 284-305 ap. J.-C. BnF, MMA, Ancien Fonds 607
Plus exceptionnel encore est le cas de Décence, seul parmi les « usurpateurs gaulois » avec son frère Magnence à s’être emparé de Rome et a y avoir produit des médaillons. L’empereur, à mi-corps en armes, tient une lance et une victoire sur un globe, une posture martiale associée à une scène célébrant la VIRTVS « Vaillance » de l’empereur, qui caracole en perçant de sa lance un ennemi tombé à genoux.


Enfin, durant l’empire tardif en voie de christianisation, apparurent des médaillons surnommés « contorniates », dont l’abondante imagerie liée aux jeux et courses du Cirque Maxime, porte les valeurs culturelles des derniers Païens. Associé à une effigie d’Honorius (395-423), un revers célèbre un cocher victorieux, Eugénius, avec les chevaux de son attelage qui portent des noms évocateurs de leurs qualités : SPECIOSVS « Beau », DIGNVS « Méritant », ACHILLIS « Achille », SIDEREVS « Étincelant »16.

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Contorniate au nom et au portrait d’Honorius ; au revers, Eugénius et ses chevaux/ Rome, vers 350-430 ap. J.-C. BnF, MMA, Fonds Général 17342
Julien Olivier et Dominique Hollard
Bibliographie
- Bloch 1988 : Denise Bloch, « La bibliothèque de Colbert », dans Claude Jolly (dir.), Histoire des bibliothèques françaises. 2, Les Bibliothèques sous l’Ancien Régime, 1530-1789, Paris, 1988.
- Buttay et al. 2006 : Florence Buttay, Guillaume Lassère, Julio Polo, Chapitre XIV. Art et société In : Les sociétés au XVIIe siècle : Angleterre, Espagne, France [en ligne sur OpenEditions Books]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006
- Fritze 1910 : Hans von Fritze, Die Münzen von Pergamon, Berlin, 1910.
- Hollard 2018 : Dominique Hollard, « Les médaillons contorniates et l’univers du Circus Maximus (Rome, 350-430 ap. J.-C.) », L’Antiquité à la BnF, 21 novembre 2018.
- Hostein 2011 : Antony Hostein, « Un geste de Caracalla sur une monnaie frappée à Pergame », dans Nicholas Holmes (éd.), Proceedings of the XIVth International Numismatic Congress, Glasgow 2009, Glasgow, 2011, p. 749-755.
- Hostein 2019 : Antony Hostein, « Les habits du prince en tournée : Caracalla à Pergame », dans Jean-Baptiste Bonnard (éd.), Corps, gestes et vêtements dans l’Antiquité, Caen, 2019, p. 87-104.
- Levante 2001 : Edoardo Levante, Sylloge Nummorum Graecorum France 5. Mysie, Paris, 2001, consultable sur Gallica.
- Picard, Faucher 2012 : Olivier Picard, Thomas Faucher, « Les monnaies lagides », dans Olivier Picard (dir.), Les monnaies de fouilles du Centre d’études alexandrines. Les monnayages de bronze à Alexandrie, de la conquête d’Alexandre à l’Égypte moderne (Études Alexandrines 25), Le Caire, 2012, p. 17-108.
- Sarmant 1994 : Thierry Sarmant, Le Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale : 1661-1848, Paris, 1994.
- Sarmant 1997 : Thierry Sarmant, « Colbert et la République des médailles », Revue Numismatique 152, 1997, p. 333-358, [en ligne sur Persée]
- Sarmant 2003 : Thierry Sarmant, La République des médailles. Numismates et collections numismatiques à Paris du Grand Siècle au Siècle des Lumières, Paris, 2003.
- Schnapper 1993 : Antoine Schnapper, « Trésors sans toit : sur les débuts de Louis XIV collectionneur », Revue de l’art, 1993, p. 53-59, [en ligne sur Persée].
- Schnapper 2005 : Antoine Schnapper, Curieux du grand siècle : œuvres d’art (Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle, 2), Paris, 2005 (2nde éd.).
- Veillon 1997 : Marie Veillon, « La science des médailles antiques sous le règne de Louis XIV », Revue Numismatique 152, 1997, p. 359-377, [en ligne sur Persée]
- Jean Vaillant qualifie le ministre d’amateur et connaisseur en la matière (Sarmant 1997, p. 349 ; 2003, p. 58). Sur la question, voir Sarmant 1997, p. 348-349. [↩]
- Sarmant 2003. [↩]
- Schnapper 1993 ; Sarmant 1994, p. 52 (notamment l’intérêt manifesté par le roi lors des opérations d’inventaires réalisées en 1684 à Versailles) ; Veillon 1997, p. 359-360. [↩]
- Sarmant 1997, p. 351 (citation) ; 2003, p. 43. [↩]
- Buttay et al. 2006, p. 347-348. [↩]
- Sarmant 1994, p. 25-46. [↩]
- Ibid., n. 3. Voir principalement Schnapper 2005. [↩]
- Sarmant 1997, p. 349. [↩]
- Ibid., citant Bloch 1988, p. 164-165, 170. [↩]
- Biblioteca Nacional de Madrid, Mss 6147. Accessible en ligne. [↩]
- Sarmant 2003, p. 56. [↩]
- Le projet ne fut jamais achevé : voir Sarmant 1994, p. 52-56. Le recueil de ces grandes planches folios, dont seulement une partie est dotée de commentaires (cote BnF, MMA, GR FOL-RES MS-9), est accessible en ligne. [↩]
- Biblioteca Nacional de Madrid, Mss 6147. http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000080682. [↩]
- Sur les bronzes ptolémaïques : Picard, Faucher 2012. [↩]
- Sur les monnayages de Pergame, on consultera Fritze 1910. Sur cette série en particulier : notamment Hostein 2011 ; 2019. Dans les collections de la BnF : Levante 2001, n° 2223-2251. [↩]
- Sur les médaillons contorniates voir Hollard 2018. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julien Olivier (26 mai 2025). Jean-Baptiste Colbert et ses « médailles ». L’Antiquité à la BnF. Consulté le 18 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/140fm