L’empereur Hadrien sur une lampe en terre cuite

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À sa mort en 1925, le savant rédacteur de catalogues Wilhelm Froehner (1834-1925) lègue au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale une importante collection d’antiquités, parmi lesquelles se trouve une lampe romaine en terre cuite représentant un empereur romain (Froehner.X.440). Elle mesure 10,2 cm de longueur, 7,1 cm de diamètre et 2,3 cm de hauteur.

Complète et dans un bon état de conservation, la lampe est constituée d’une pâte orange-brun. Dépourvue d’anse, elle dispose d’un bec flanqué de volutes et à l’extrémité arrondie. Ces particularités formelles permettent de rattacher la lampe au type Loeschcke IV (ou Bailey type B).

Fig. 1. Lampe Froehner.X.440, BnF, © P. Lavieille.

Trois rainures concentriques entourent le buste lauré d’un personnage masculin barbu, de profil à droite, devant un sceptre fleuri sous lequel se trouve le trou destiné à recevoir l’huile. Dans ses carnets, W. Froehner reconnaît dans ce profil l’empereur Antonin le Pieux (86-161 ap. J.-C.). M.-C. Hellmann, en 1985, identifie quant à elle Hadrien (76-138 ap. J.-C.).

Le diadème qui ceint la tête du personnage retombe derrière son cou et jusque sur son épaule droite. Il caractérise son statut impérial. Les portraits impériaux sur les lampes sont rares et la plupart des témoignages connus semblent dater de la première moitié du IIe siècle. Quelques exemples précoces sont attestés dès le milieu du Ier siècle. La plus ancienne lampe avec un portrait impérial a été découverte en Espagne et représente deux têtes en vis-à-vis (fig. 2). L’homme, lauré, est identifié par sa physionomie à Caligula (12-41 ap. J.-C.). Il fait face à sa mère Agrippine l’Aînée (14 av. J.-C. – 33 ap. J.-C.), identifiée par sa coiffure. Les deux personnages sont associés sur des monnaies, ce qui conduit à s’interroger sur d’éventuelles comparaisons entre le médaillon de la lampe de la BnF et les effigies des monnaies impériales. En effet, la parenté entre lampes et monnaies est importante, en particulier car les artisans des deux techniques ont la même ambition : remplir et décorer au mieux une surface circulaire. Néanmoins, les différences de matériau, de technique, de prix et d’usage conduisent à une différence de traitement des détails, accentuée par l’existence d’ateliers régionaux.

Fig. 2. Lampe découverte à Belo Belona, lieu actuel inconnu, d’après Dardaine Sylvie, « Portraits impériaux sur une lampe découverte à Belo (Bolonia, Cadix) », Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 17, 1981. p. 519.

Le médaillon de la lampe de la BnF pourrait être directement inspiré d’une monnaie dont elle reprend le type et augmente son échelle. L’artisan pourrait avoir pris modèle sur les monnaies mais il peut aussi avoir observé des sculptures et les avoir prises comme modèle.

Fig. 3. Droit d’un denier d’Hadrien, vers 119-122, BnF, IMP-755. Fig. 4. Médaillon de la lampe Froehner.X.440, BnF, MMA © P. Lavieille.

Comme sur les portraits monétaires d’Hadrien, l’homme représenté sur la lampe a un nez aquilin et un lobe d’oreille figuré par un cercle marqué. Il porte une moustache tombante qui rejoint une barbe mi-longue. Les cheveux sont sommairement figurés. La différence du motif oculaire peut s’expliquer par la technique qui diffère entre la monnaie et la lampe, cette dernière étant d’une facture moins précise.

Plusieurs variantes de cette lampe sont conservées, dont une au Metropolitan Museum de New York (74.51.2205), du même atelier et qui est très proche sans pour autant être issue du même moule. La multiplicité des exemplaires, trouvés en divers endroits du monde gréco-romain, tendrait plutôt à y reconnaître une figure impériale, qui ne peut pas être liée à un type statuaire particulier ni même à un empereur avec certitude.

S’il est tentant d’identifier un empereur, il pourrait aussi s’agir d’un visage d’époque (Zeitgesicht) rappelant les portraits impériaux d’Hadrien ou d’Antonin et reflétant les goûts néoclassiques de leur époque, la barbe étant alors un symbole d’érudition et de sophistication.

L’identification du personnage reste donc ouverte.

Pourquoi représenter un empereur sur une lampe ?

Les lampes sont d’abord des objets utilitaires et l’exemplaire de la BnF ne fait pas exception, des traces de feu étant perceptibles sur le bec. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur les raisons menant à la représentation d’une effigie impériale sur un tel objet mobilier, les lampes étant majoritairement ornées de motifs végétaux ou décoratifs.

Comme le remarque Sylvie Dardaine en 1981, le choix peut refléter un « thème iconographique à la mode, [un] signe de loyalisme ou [une] volonté de propagande politique […] mais dans le domaine céramique les portraits impériaux sont rarement utilisés comme motif ornemental ». Le choix d’un décor politique résulte par conséquent d’un choix de l’artisan ou de l’acheteur signifiant éventuellement « la reconnaissance des valeurs romaines incarnées par l’empereur. » Cela contribue à la propagande impériale. Dans ce cadre, l’identification à Hadrien reçoit un argument supplémentaire car les commentateurs voient dans cette représentation une justification commode : Hadrien, philhellène, jouit en Grèce d’un important prestige. Il serait alors cohérent que des artisans établis dans la partie orientale de l’Empire aient choisi d’accorder une place privilégiée à cet empereur sur le décor des lampes.

Atelier et provenance

La datation relative renforce cette hypothèse. La typologie de lampe indique plutôt une production du début du IIe siècle, une représentation d’Antonin le Pieux serait ainsi trop tardive. La lampe de la BnF comporte une signature gravée au revers, en lettres cursives sur l’argile fraîche, de l’atelier de Romanesis, bien connu à partir du dernier tiers du Ier siècle voire même avant. Cette lampe est un jalon de l’étude de l’atelier puisqu’une représentation d’époque hadrienne permet d’ancrer l’activité de l’atelier jusqu’aux années 117-138.

La zone de production de cette lampe reste méconnue en raison d’un nombre important de lampes produites par cet atelier et retrouvées tout autour de la Méditerranée (Italie, Balkans, Afrique du Nord, Grèce, Délos, Chypre, Mer Noire, Asie Mineure). Pour certains, le nom Romanesis indiquerait une origine italienne de l’artisan qui serait installé hors de la péninsule. De nombreuses lampes de l’atelier, signées ou identifiées par la typologie, ont été retrouvées à Cnide, c’est pourquoi la cité est régulièrement proposée comme le lieu de production de cette fabrique, tout comme Milet, autrement dit la lampe de la BnF a vraisemblablement été produite en Asie Mineure du sud-ouest, avant d’être exportée.

La provenance archéologique de la lampe de la BnF est inconnue. Selon W. Froehner, elle proviendrait de Chypre mais l’information n’a pas encore pu être confirmée. Cette indication est néanmoins vraisemblable puisque l’érudit joue un rôle important dans l’archéologie de Chypre, où une trentaine de lampes signées de l’atelier de Romanesis ont été découvertes. Certaines lampes de cet atelier et provenant de Chypre sont mises en vente à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle ; c’est sans doute dans l’une de ces vagues d’arrivées d’antiquités à Paris que W. Froehner acquiert l’exemplaire de la BnF. Le département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF conserve d’autres lampes produites par cet atelier et léguées par W. Froehner (Froehner.V.340 et Froehner.X.387). La lampe du Metropolitan Museum déjà mentionnée provient de la collection de Luigi Palma di Cesnola (1832-1904) ; sa provenance chypriote est donc assurée, ce qui renforce l’idée d’une provenance chypriote de la lampe de la BnF même si d’autres lampes au décor analogue ont été découvertes ailleurs. Deux d’entre elles proviennent par exemple de Délos. L’une pourrait être issue du même moule que celle de la BnF tandis que l’autre est décorée d’un médaillon représentant un portrait masculin à droite dont les détails, plus précis, se rapprochent davantage de l’effigie monétaire d’Hadrien.

En définitive, la lampe romaine Froehner.X.440 de la BnF a sans doute été produite dans l’atelier de Romanesis, en Méditerranée orientale, puis a été exportée à Chypre où elle a été utilisée puis perdue avant d’être redécouverte il y a plus d’un siècle. Le motif du médaillon, diffusé par l’atelier dans tout le monde romain, représente l’empereur Hadrien ou un anonyme de son temps et doit par conséquent être daté aux environs des années 120.

Pour aller plus loin :


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Paul Lavieille (1 juin 2025). L’empereur Hadrien sur une lampe en terre cuite. L’Antiquité à la BnF. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/141bf


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