Dans la série “Pressé d’Antique”, retrouvez les bons mots, anecdotes insolites et dessins humoristiques où les découvertes, savants et idées reçues sont moqués dans une presse déchaînée… L’Antiquité à la BnF retranscrit pour vous les pépites numérisées sur Gallica & Retronews.
La connaissance du taureau Apis, associé d’abord au culte du dieu Ptah à Memphis avant de recevoir un culte comme divinité jusqu’à l’époque romaine, est transmise par les textes des historiens classiques. La nécropole des taureaux sacrés, le Sérapéum, fut longtemps recherchée dans les sables de Saqqara. C’est en suivant une allée de sphinx qu’Auguste Mariette en redégagea l’entrée en novembre 1851. La découverte fit grand bruit jusqu’à inspirer l’Opéra-bouffe. L’article signé par Louis Huart paru dans le Charivari le 20 janvier 1852, [p. 2], rend hommage à la mise au jour des ruines en la mêlant à une autre actualité, la question des abattoirs de Paris1.
LE TOMBEAU DU BŒUF APIS
Les correspondances d’Alexandrie de ce mois renferment une nouvelle qui intéressera tout le monde savant. M. Mariette a découvert le tombeau du bœuf Apis
(Tous les journaux sérieux)
Voilà trois mille ans que les savans européens sont occupés à chercher le tombeau du bœuf Apis. C’est inutilement qu’ils avaient exploré toutes les pyramides grandes et petites, c’est en vain qu’ils avaient même fait des fouilles sur l’ancien emplacement de Memphis, ce tombeau se dérobait toujours à leur pioche.
On avait trouvé une foule de Sésostris et des Aménophis à en revendre à la douzaine à tous les marchands de bric-à-brac de l’Europe ; — mais impossible de mettre la main sur un bœuf entouré de bandelettes.
Quelques savans des Batignolles, plus obstinés que les autres, en étaient même venus à faire des fouilles tout le long de la chaussée de Clignancourt,—ils soutenaient que la tradition du bœuf gras avait dû être apportée à Paris par des prêtres égyptiens qui s’étaient probablement réfugiés sur la butte Montmartre2, pour échapper à une grande inondation du Nil, et qu’il était fort probable que ces Egyptiens avaient emmené avec eux le fameux bœuf Apis dont ils ne se séparaient jamais.
Donc, il n’était pas impossible que le bœuf Apis eût été enterré à Paris, non loin de l’Abattoir. Cette supposition des savans des Batignolles était ingénieuse, mais erronée, — l’événement l’a récemment prouvé,—ce fameux tombeau vient enfin d’être découvert en Egypte.
Franchement, il était temps, car, pour ma part, je tournais au scepticisme, j’avais presque perdu toute croyance au bœuf Apis et même aux savans.
La trouvaille du bœuf sacré a été faite comme toutes les grandes découvertes, c’est-à-dire au moment où l’on s’y attendait le moins et par le pur effet du hasard.

M. Mariette, fatigué d’avoir refouillé pour la centième fois l’intérieur de la pyramide de Chéops sans avoir rencontré la plus petite corne, était en train de se promener bien tranquillement dans le désert, la canne à la main, lorsque tout à coup, en sondant un monticule de sable, par manière de divertissement de savant, il s’aperçut que le bout de sa canne rencontrait un obstacle inattendu.
Le savant, vivement intrigué, crut avoir mis la main sur un sphinx en granit ou sur une carcasse de chameau,—les deux genres de trouvailles les plus communes en Egypte,—mais jugez de la surprise de M. Mariette, lorsque sous le monticule de sable il trouva un tombeau et dans ce tombeau la momie d’Apis !
Impossible de s’y méprendre, c’étaient bien les restes sacrés du fameux ruminant que notre savant avait sous sa canne :—ce tombeau portait en lettres d’or :—Ci gît Apis ; il fut bon bœuf ; concession à perpétuité !
Le tout en écriture égyptienne, bien entendu, — c’est-à-dire rédigé à l’aide de canards, d’ibis et de hannetons, que dans ce pays on qualifie de scarabées pour les flatter.
La momie d’Apis vaut plusieurs millions pour un véritable amateur,— il est probable qu’elle sera vendue en Angleterre : — les Français n’aiment pas assez le bœuf et surtout le bœuf âgé de quatre mille
ans pour y mettre un prix convenable.
Malgré la découverte faite par M. Mariette, les savans des Batignolles n’ont pas renoncé à l’idée de trouver le tombeau du bœuf Apis ; — ils se livrent à des fouilles avec plus d’ardeur que jamais et ils se proposent d’adresser très prochainement à l’Institut un mémoire scientifique dans lequel ils se proposent de prouver que la momie découverte par M. Mariette est celle d’un faux bœuf, et que le véritable Apis a été positivement enfoui il y a quatre mille ans dans
un terrain dépendant de la commune de Montmartre.
Que M. Mariette se défende comme il pourra !
Louis Huart.

Pour aller plus loin:
- Auguste Mariette, Le Serapeum de Memphis, Paris, Gide, 1857-[1866], sur Gallica.
- Elisabeth Delange, “Les documents Mariette du Sérapéum“, Rediffusion de la Journée annuelle de la recherche au musée du Louvre, enregistrée à l’Auditorium du Louvre le 16/12/2020.
- Vanessa Desclaux, “Auguste Mariette, l’archéologie égyptienne sur le devant de la scène“. L’Antiquité à la BnF, 2021.
image mise en avant: “M. Léo Delibes, accommodant le bœuf d’une manière délicieuse. — Avis aux amateurs de bonnes choses.”, Cham [Amédée-Charles Henri, comte de Noé], L’Illustration Volume XLV N° 1160, 20 mai 1865 : « Revue mensuelle, par Cham. » [caricatures] (p. 317), BnF, Arts du spectacle, 4-ICO THE-560 et RIPM.
- Quelques années plus tard, en 1859, sera décidée la création des abattoirs et du marché à bestiaux de la Villette, destinés à remplacer ceux de Paris. [↩]
- Emplacement de l’un des abattoirs de Paris créés par le décret impérial du 9 février 1810, Baldin Damien, « De l’horreur du sang à l’insoutenable souffrance animale. Élaboration sociale des régimes de sensibilité à la mise à mort des animaux (XIXe – XXe siècles) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 3/2014, no 123, p. 52-68, en ligne sur CAIRN. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Antiquité BnF (22 avril 2025). Le pressé d’antique 9: une découverte à l’effet bœuf. L’Antiquité à la BnF. Consulté le 16 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13s5a