Partie 1 : L’étude des peintures murales

La première partie de l’article retrace la genèse d’une série d’aquarelles de Pierre Gusman datant de 1898 et conservée à la Bibliothèque nationale de France. Elle porte sur les styles décoratifs et constitue l’aboutissement d’une étude des peintures murales pompéiennes débutée par l’artiste en 1895. Elle se propose d’analyser la démarche de Gusman à travers la présentation de plusieurs exemples de ses aquarelles et d’examiner la manière dont il a cherché à restituer les couleurs pompéiennes. 

Personnalité éclectique, engagée et passionnée, Pierre Gusman (Paris, 6 décembre 1862 – Grosrouvre, 18 décembre 1941) fut à la fois graveur, peintre, photographe, historien de l’art, écrivain et poète. Il consacra une partie de sa carrière à l’étude de l’art romain, et en particulier à celle du site de Pompéi, qu’il découvrit en 1895 et visita à plusieurs reprises jusqu’au début des années 1930. Adoptant un regard à la fois artistique et archéologique sur la cité antique, il publia notamment Pompéi : la ville, les mœurs, les arts (1899) et La Décoration murale à Pompéi (1924), ouvrages dont il réalisa lui-même les illustrations et qui furent récompensés par l’Institut de France¹.

Conservées principalement à la Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et à la Bibliothèque de l’Institut de France, ses archives rassemblent calques, dessins, photographies (plaques de verre et épreuves) et manuscrits. Les collections du département des Estampes et de la photographie de la BnF renferment également, outre son fonds d’estampes, une centaine de ses dessins dont un ensemble de 38 aquarelles consacrées aux maisons de Pompéi et à leurs décors, datant de 1898, ainsi qu’une dizaine de feuilles isolées illustrant plusieurs lieux de la cité vésuvienne et réalisées à différentes périodes². Bien que n’étant pas d’une haute qualité technique et artistique, ces pièces présentent un grand intérêt, non seulement pour les archéologues, car elles témoignent de l’état des vestiges et des fouilles à Pompéi au tournant des XIX^e et XX^e siècles, mais aussi pour les historiens de l’art qui étudient les dessins consacrés à Pompéi et leur évolution à partir des années 1850 sous l’influence de la photographie.

Les relevés de portraits pompéiens

Au début d’Elskée au Jardin de Vénus, le seul roman de Gusman consacré à Pompéi, paru en 1936, l’auteur évoque dix séjours prolongés à Pompéi et au golfe de Naples en se présentant comme un « artiste-archéologue³ ». Le premier s’inscrit dans le cadre d’une bourse de voyage qui lui est décernée par le Conseil supérieur des Beaux-Arts en juin 1894 pour Abraham Grapheus, une gravure sur bois d’après Cornelis de Vos⁴. L’archéologue Maxime Collignon indique dans la préface de Pompéi : la ville, les mœurs, les arts que Gusman se rend d’abord en Belgique et en Hollande, puis séjourne quatre mois à Rome avant de se décider à visiter Pompéi « en simple touriste », accompagné du guide de Gaston Boissier Promenades archéologiques⁵. Fasciné par la cité antique, il s’y installe finalement deux mois, comme il l’écrit lui-même dans un article pour la Gazette des Beaux-Arts en 1896 :

Les ruines s’endorment, tandis qu’à l’horizon Capri déchire le ciel de ses crêtes sèches, et que Sorrente, teintée de pourpre et d’or, paraît se baigner dans un océan de feu… Au bout de quelques jours, je vivais dans un autre âge, et l’attrait de ce pays enchanteur fit que je m’y fixai deux mois, au cours desquels j’eus la bonne fortune d’assister aux dernières fouilles qui ont mis à jour tant de curieuses peintures⁶.

Au cours de ce premier séjour, qui a vraisemblablement lieu aux mois de mars et avril 1895, Gusman fait la rencontre de l’anthropologue britannique H. P. Fitzgerald Marriott, auteur de Facts about Pompei, à l’Hôtel du Soleil⁷, où il retournera ensuite⁸. Marriott a dressé la liste d’une cinquantaine de portraits peints sur les parois des maisons pompéiennes et propose à Gusman d’en faire le relevé sur calque⁹. Les 44 aquarelles qui en sont issues, formant la série intitulée Portraits pompéiens, sont achetées par l’École des Beaux-Arts l’année suivante¹⁰. Elles constituent souvent l’un des rares témoignages sur ces peintures murales, non conservées ou très dégradées aujourd’hui du fait de leur exposition à la lumière et à l’humidité, et sont révélatrices du souhait de Gusman de reproduire des fresques aux sujets en apparence anecdotiques, en restituant leurs dimensions, couleurs originales et altérations¹¹. L’auteur a indiqué leur localisation sur chacune des aquarelles en suivant le découpage du site (Regio, insula, civico) défini par Giuseppe Fiorelli, directeur des fouilles de 1860 à 1875, qui a contribué à ouvrir plus largement le site aux visiteurs et faciliter leur accès aux fouilles.

La découverte des peintures de la Casa dei Vettii

Désireux de poursuivre son étude de la peinture murale antique, Pierre Gusman écrit dès février 1896 dans une lettre à Henry Roujon, directeur des Beaux-Arts, qu’il souhaiterait retourner à Pompéi « pour faire une abondante moisson d’importants documents utiles à l’histoire de l’art et qui démontreraient que la peinture des Anciens est beaucoup plus “moderne” qu’on ne le se figure généralement. » Il fait allusion, sans la nommer, à la Casa dei Vettii, dont il a photographié le péristyle en cours de fouille en 1895¹², et dont les peintures du IV^e style ont suscité un engouement important dès leur découverte :

Une nouvelle maison fort luxueuse, qui a été découverte à Pompéi pendant mon séjour, offre un intérêt considérable et donne occasion de faire les relevés de nombreuses peintures dont l’air et la lumière vont bientôt ternir l’éclat¹³.

Ces observations témoignent d’une conscience archéologique et patrimoniale forte chez Gusman, soucieux de garder la trace de peintures dont il craint qu’elles ne disparaissent en restant à l’air libre¹⁴. Grâce à l’argent qu’il perçoit de la vente de ses Portraits pompéiens aux Beaux-Arts, il retourne à Pompéi en 1896 et y copie de nouveaux portraits à l’échelle 1:1, mais aussi des décors plus grands, qu’il reproduit à échelle réduite, principalement 1:2 ou 1:4. Gusman choisit notamment neuf peintures de la Casa dei Vettii, parmi lesquelles quatre peintures mythologiques de grand format.

Déplorant que les lithographies publiées dans les ouvrages sur Pompéi, et notamment dans le fameux ouvrage des frères Niccolini Le case ed i monumenti di Pompei¹⁵, « ne traduisent aucunement le sentiment et l’harmonie des peintures antiques¹⁶ », il décide de vendre cette nouvelle série d’aquarelles, qu’il intitule, en hommage à l’architecte François Mazois, Ruines de Pompéi¹⁷, à la faculté de la Sorbonne pour qu’elles puissent servir à l’instruction des étudiants en archéologie, comme il l’avait fait deux ans auparavant avec les Portraits pompéiens, destinés aux élèves des Beaux-Arts¹⁸. Sur les 34 aquarelles que compte cet ensemble inédit, 29 sont aujourd’hui conservées à l’Institut d’art et d’archéologie de la rue Michelet¹⁹.

Exposées à l’École des Beaux-Arts en 1897, les aquarelles des Portraits pompéiens et des Ruines de Pompéi charment la critique, comme le montre cette recension parue dans Le Soleil  : 

C’est tout cela que M. Pierre Gusman nous rapporte, c’est-à-dire une évocation de la vie romaine des plus piquantes et qui nous montre une civilisation soucieuse d’art, de luxe et dont les mœurs, les coutumes se rapprochent bien des nôtres. L’artiste, qui est un coloriste, un impressionniste dans le bon sens du mot, a relevé à la pointe de son pinceau tout ce qui pouvait satisfaire la pensée ou charmer l’œil²⁰.

L’étude des styles décoratifs pompéiens

Gusman se rend une troisième fois à Pompéi en 1898, toujours grâce à l’appui d’Henry Roujon. Au cours de ce séjour, il visite le Musée archéologique national de Naples pour y étudier peintures, sculptures et objets provenant de Pompéi. Il réalise également une nouvelle série de 38 aquarelles traitant de « la maison gréco-romaine et des styles qui s’y rattachent²¹ », qui rejoint le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale en 1900. Ainsi, après avoir copié à deux reprises des fresques pompéiennes aux sujets variés (portraits, scènes de mœurs, tableaux mythologiques), prises de manière isolée, Gusman élargit sa perspective en envisageant les peintures murales comme un système décoratif conçu dans un rapport étroit avec l’architecture domestique²².

Influencé par l’archéologue allemand August Mau, l’auteur de Geschichte der decorativen Wandmalerei in Pompeji²³, Gusman reproduit des décors représentatifs des quatre styles pompéiens²⁴. Ceux-ci sont localisés dans des maisons excavées au cours de la première moitié du XIX^e siècle, mais le plus souvent récemment mises au jour, situées notamment dans les îlots 8 et 9 de la Regio IX, fouillés entre 1879 et 1889, ou dans l’îlot 15 de la Regio VI, où des fouilles ont lieu en 1898.

Pour le I^er style, il choisit notamment le décor de la paroi sud du jardin (9)²⁵ de l’Officina offectoria di Ubonius (IX, 3, 2), fouillée entre 1847 et 1868. Dit « à incrustations » ou « structural », ce style, en usage jusqu’au début du I^er siècle av. J.-C., imite les grands appareils de marbre par des stucs polychromes. Gusman restitue fidèlement les couleurs du décor, aujourd’hui presque entièrement disparues, et les dégradations dans les parties inférieure et supérieure. La troisième section comportait un laraire, destiné au culte domestique, avec lares et serpents peints qui n’étaient sans doute déjà plus conservés lorsque Gusman a réalisé son aquarelle.

Appelé « architectural », le II^e style, qui a cours des débuts de la colonie romaine (vers 80 av. J.-C.) jusqu’au début du règne d’Auguste (vers 30 av. J.-C.), abandonne le relief et imite les éléments architecturaux par la peinture. On le rencontre notamment dans la Casa delle Nozze d’Argento (V, 2, i), une riche demeure dont l’excavation a commencé en 1891 et n’est pas totalement achevée en 1898. Gusman y copie le décor de la paroi sud du cubiculum ou du triclinium (x), datant vraisemblablement des années 40-25 av. J.-C. (phase IIa), qui comporte une plinthe noire, un podium sur lequel reposent deux colonnes corinthiennes avec un fond imitant une paroi à incrustations de marbre²⁷. Bien conservées au moment de leur découverte, ces très belles fresques sont immédiatement copiées par le peintre bolonais Luigi Bazzani (1836-1927)²⁸.

Il est intéressant de noter que Gusman, dont la démarche est beaucoup plus modeste et spontanée que celle de Bazzani, adopte un point de vue original en ne faisant pas le relevé d’une ou plusieurs sections du décor d’une même paroi, mais en représentant l’ensemble de la pièce, avec une partie du sol, comme s’il prenait une photographie. On relève une certaine maladresse dans le rendu de la perspective, qui peut en partie s’expliquer par son souhait de faire apparaître le décor des parois est et ouest sur son aquarelle.

Dans ses écrits, Gusman s’interroge sur la technique employée par les artisans pompéiens. S’il considère que les décors de I^er style sont peints a fresco, il avance l’hypothèse que ceux de II^e style, comme celui de la Casa delle Nozze d’Argento, ont été exécutés a tempera²⁹. Il se fait ainsi l’écho des débats qui animent les spécialistes de l’époque sur la question de l’utilisation de l’encaustique, de la fresque ou de la peinture à la détrempe dans les décors muraux antiques, question qui a été tranchée à la fin des années 1960, après que de nombreuses analyses ont permis de conclure que les peintures murales pompéiennes étaient des fresques³⁰.

Se développant à partir de -20 et jusqu’en 54 ap. J.-C., le III^e style pompéien, appelé « ornemental » car il introduit des éléments décoratifs légers comme des fines colonnes et des candélabres, est celui qui séduit le plus Gusman. Il le trouve « délicat et de bon goût, spirituel dans les détails et harmonieux de couleur³¹ ». Retournant dans les maisons qu’il a visitées en 1896, il reproduit plusieurs décors de troisième style dans lesquels s’insèrent des tableaux qu’il a copiés au cours de son séjour précédent, comme celui de la paroi ouest du cubiculum (l) de la Casa di C. Sulpicius Rufus, située en IX, 9, c mais localisée en IX, 7 au moment de son excavation en 1889³². Relevant de la phase IIb du troisième style (35-45 ap. J.-C.), cet ensemble, encore partiellement visible, comporte des éléments nouveaux dans l’histoire du décor pompéien, comme des demi-lunes à fond noir ornées de petits animaux dans les panneaux latéraux. Difficile à identifier, le sujet du tableau central est très rare à Pompéi³³. Si Gusman n’a pas donné de titre précis à sa première aquarelle, il a simplement légendé la photographie qu’il a prise de la fresque « chiens et bergers³⁴ », mais il s’agit plus vraisemblablement d’un satyre.

Gusman affectionne particulièrement le caractère égyptisant de ce style, qui s’est développé après la conquête de l’Égypte par Rome, et se plaît à imaginer la cour de Cléopâtre vivant dans un tel décor³⁵. Il copie celui du tablinum (i) de la Casa di L. Cecilio Giocondo (V, 1, 26) qui lui évoque « les lignes et couleurs des tapis d’Orient³⁶ », ainsi que celui du mur sud du triclinium (l) de la Casa di Orfeo (VI, 14, 20), non conservé aujourd’hui, qu’August Mau considérait comme l’un des décors à dominante verte les plus réussis³⁷.

Si Gusman apprécie le III^e style, il est plus critique vis-à-vis du IV^e style, appelé « fantastique » en raison de la profusion d’ornements. Né au milieu du I^er siècle ap. J.-C, il s’est surtout développé après le tremblement de terre qui a frappé Pompéi en 62 ou 63 ap. J.-C. et détruit de nombreuses maisons. C’est le style que l’on rencontre le plus fréquemment à Pompéi, ce dont témoigne cette série, 11 aquarelles sur 20 étant consacrées à des décors de IV^e style. Gusman le juge globalement pompeux, voire « théâtral et d’un goût douteux par l’adjonction de baldaquins et de rideaux³⁸. » Il fait sans doute allusion au grand tableau provenant de la palestre d’Herculanum, la seule peinture de la série qui ne soit pas d’origine pompéienne, qu’il a copié au Musée archéologique national de Naples (inv. 9735). Appartenant à la phase néronienne du IV^e style, il représente bien un décor de théâtre, avec rideau et masque³⁹.

Les décors les plus raffinés du IV^e style ont toutefois la faveur de Gusman, comme ceux du tablinum (10) de la Casa della Caccia antica (VII, 4, 48) et du triclinium (7) de la Casa del Centenario (IX, 8, 3.7). Il retourne également dans l’oecus (q) de la Casa dei Vettii, connu pour sa frise des Amours, dont il a copié deux fragments en 1896, et qui constitue peut-être la décoration picturale la plus connue de tout le IV^e style⁴⁰. Gusman a représenté l’angle nord-ouest de la pièce, qui conserve l’intégralité de son décor, de la cimaise à la zone supérieure. La scène des Amours vendant du vin prend place sur la paroi ouest, côté nord, et est visible à gauche sur l’aquarelle. Pour l’artiste, il s’agit d’un des plus beaux rouges, et l’ordonnance est digne du III^e style⁴¹. 

Au cours de ce séjour, Gusman ne se contente pas de retourner dans les lieux déjà visités. Il se rend dans plusieurs maisons nouvellement fouillées, situées au nord de la Casa dei Vettii et donnant sur le Vicolo dei Vettii, comme la Casa del Principe di Napoli (VI, 15, 7.8), mise au jour entre 1896 et 1898, où il copie deux décors de IV^e style.

Reproduction et publication des aquarelles

Étant avant tout graveur et peintre, Pierre Gusman choisit d’illustrer lui-même ses ouvrages sur Pompéi. S’il a pris de nombreuses photographies des vestiges au cours de ses trois premiers séjours et développé une méthode originale consistant à aquareller des tirages surexposés pour garder une trace des couleurs pompéiennes⁴², il n’en a reproduit aucune par le biais de procédés photomécaniques dans son livre Pompéi : la ville, les mœurs, les arts.

Il écrira plus tard dans sa préface au compte rendu du 24^e Salon international d’art photographique que si la photographie semble avoir une origine divine, il lui manque « l’accent graphique intégral»⁴³. Ainsi dans son livre sur Pompéi, Gusman insère dans le texte des vignettes en noir et blanc, réalisées d’après ses dessins ou ses photographies selon la technique de la gravure sur bois, et propose des reproductions photomécaniques en couleurs de ses aquarelles sur 12 planches hors texte. Dans la recension qu’il fait de l’ouvrage de Gusman en 1900, August Mau observe que si le dessin convient bien aux vues architecturales, des reproductions photographiques auraient été plus fidèles à la réalité pour les objets, peintures et sculptures, même s’il concède que les planches en couleurs consacrées aux quatre styles décoratifs sont réussies⁴⁴. L’archéologue a lui-même publié une version anglaise et une version allemande d’un ouvrage sur Pompéi, aux titres proches de celui de Gusman, Pompeii, its life and art et Pompeji in Leben und Kunst ⁴⁵, respectivement parues en 1899 et en 1900, qui comptent toutes deux des reproductions photographiques.          

Poursuivant ses recherches sur la polychromie, Gusman publie vingt-cinq ans plus tard un ouvrage intitulé La décoration murale à Pompéi. Les 32 planches qui le composent représentent des décors des quatre styles, qui ont pour certains été copiés et publiés par François Mazois, les frères Niccolini et August Mau dans des chromolithographies dont Gusman juge les « tonalités lourdes » et à « l’opposé de la réalité ». S’il exprime son désir de se démarquer de ces auteurs et « de retrouver une ambiance d‘où pourrait surgir une nouvelle originalité dans la juxtaposition des couleurs⁴⁶ », il n’indique pas le procédé qu’il a employé. L’examen à la loupe binoculaire de plusieurs planches de l’exemplaire de La décoration murale à Pompéi conservé à la BnF, par des restauratrices du département des Estampes et de la photographie spécialisées en arts graphiques⁴⁷, a permis de confirmer qu’il s’agit de la technique du pochoir, telle que décrite par Jean Saudé, l’un des maîtres de l’illustration au pochoir au début du XX^e siècle, dans son Traité de l’enluminure d’art au pochoir⁴⁸. Sur une impression très claire, vraisemblablement lithographique, les couleurs (gouache et aquarelle) ont été appliquées au moyen de brosses dans les parties découpées de pochoirs, des feuilles de zinc ou de cuivre, dont le contour de la découpure épouse celle du dessin⁴⁹.

Il ne semble pas y avoir eu de reprise des détails au pinceau, les petits motifs ayant été également coloriés au pochoir. Par sa complexité et son raffinement, ce procédé a permis d’obtenir des planches aux couleurs fraîches et harmonieuses.  

Sur ces 32 planches, 8 reproduisent des aquarelles de la série des styles décoratifs, tout en s’inspirant des planches des ouvrages cités par Gusman dans son introduction, comme Le case ed i monumenti di Pompei des Frères Niccolini. On note par exemple que pour la planche XV, Gusman a reproduit des dégradations dans le décor qui figuraient sur son aquarelle, mais a fait apparaître certains motifs importants, comme le cygne blanc de la zone inférieure noire, visible sur la planche des Niccolini mais difficilement distinguable sur son dessin du fait de l’altération de la peinture. Gusman ne poursuit clairement plus le même objectif en 1924 qu’en 1898, les recherches sur la polychromie primant alors sur la tentative de restitution des peintures dans l’état qui était le leur à la fin du XIX^e siècle. Demeure le souhait, constant chez Gusman, de fournir des exemples instructifs aux artistes.

Pierre Gusman a ainsi su mener, dans le cadre d’une approche à la fois archéologique et artistique, un travail d’une grande originalité sur les peintures pompéiennes et la restitution de leurs couleurs dans ses publications. Toujours soucieux d’élargir sa perspective, il a également entrepris une étude de la maison gréco-romaine qui sera présentée dans la deuxième partie de cet article (début 2025).

Illustration en tête du billet : Pierre Gusman, Troisième style. Variété égyptienne. Maison del Orfeo, aquarelle, 1898. BnF, département des Estampes et de la photographie, RESERVE GD-12 (J)-FOL, photo M. Dardenne 

1. Hélène Dessales, « Gusmand, dit Gusman, Pierre », in Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, dirigé par Philippe Sénéchal et Claire Barbillon, 2013. [↩]
2. Cotées RESERVE GD-12 (J)-FOL, les 38 aquarelles sont entrées dans les collections du cabinet des Estampes en 1900 par le biais d’une acquisition (n° 6147) auprès de l’artiste, complétée d’un don (n° 9578) de l’administration des Beaux-Arts. Une série de 15 aquarelles consacrée à la Villa d’Hadrien, achetée en 1903, figure également sous cette cote. Les autres dessins de Gusman ont été donnés à la Bibliothèque nationale par sa veuve en 1942 (don n°5341) ; je remercie Pauline Chougnet, conservateur en charge des collections de dessins au département des Estampes et de la photographie, de me les avoir signalés. Les aquarelles « pompéiennes » ont été présentées dans : Jocelyn Bouquillard, La Résurrection de Pompéi. Dessins d’archéologues des XVIII^e et XIX^e siècles, Arcueil, Anthèse, 2000, p. 57-84. [↩]
3. Pierre Gusman, Elskée au Jardin de Vénus : hexameron polychrome, Paris, impr. Fequet et Baudier, 1936, avant-propos. [↩]
4. Archives nationales, F/21/8889, registres du Conseil supérieur des Beaux-Arts, 1875-1936. [↩]
5. Maxime Collignon dans Pierre Gusman, Pompéi : la ville, les mœurs, les arts, Paris, L.-H. May, 1899, p. IV. [↩]
6. Pierre Gusman, « Quelques peintures de Pompéi », Gazette des Beaux-Arts, LXXIX, juillet-décembre 1896, p. 191. Les « curieuses peintures » auxquelles Gusman fait allusion sont celles de la Casa dei Vettii, excavée en 1894-1895, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. [↩]
7. Il a été possible de dater finement ce premier séjour grâce à une dédicace de Marriott à Gusman figurant au début de l’exemplaire de Facts about Pompei conservé à la Bibliothèque de l’Institut de France  : « A Monsieur Pierre Gusman. En souvenir du temps passé très agréablement à Pompéi. Avec les meilleurs compliments de l’auteur. H. P. Fitzgerald Marriott. Avril 1895. Albergo del Sole, Pompei. » Facts about Pompei a paru la même année en Grande-Bretagne. [↩]
8. L’Albergo del Sole, qui a pour héritier l’Hotel del Sole, est décrit par Gusman, au début d’Elskée au Jardin de Vénus, comme un lieu peu confortable mais cosmopolite et hospitalier où se retrouvent les artistes, les archéologues et tous ceux qui désirent voir Pompéi. [↩]
9. H. P. Fitzgerald Marriott, « Family portraits », The Archaeological Journal, 54, 1897, p. 10-27. [↩]
10. Archives nationales, F/21/2134. Plusieurs de ces portraits ont été exposés récemment à l’École des Beaux-Arts : voir Emmanuelle Brugerolles (dir.), Pompéi à travers le regard des artistes français du XIX^e siècle [Exposition, École nationale supérieure des Beaux-arts, 5 octobre 2016-14 janvier 2017], Paris, Beaux-arts de Paris, 2016, p. 80-89. [↩]
11. Les calques et dessins préparatoires sont conservés à la Bibliothèque de l’INHA sous la cote Archives 37/30/1. [↩]
12. INHA, cote Plaques phot 12 (26). C’est Sandra Zanella qui a réalisé l’inventaire des plaques de verre de Gusman consacrées à Pompéi. [↩]
13. Archives nationales, F/21/2134, lettre de Pierre Gusman à Henry Roujon datée du 16 février 1896. [↩]
14. Contrairement à de nombreuses autres peintures pompéiennes, celles de la Casa dei Vettii ont pu être conservées grâce à l’installation de toitures peu de temps après leur mise au jour. [↩]
15. Fausto Niccolini, Felice Niccolini, Le case ed i monumenti di Pompei, Napoli, 1854-1896, 4 vol. [↩]
16. Pierre Gusman, « Quelques peintures de Pompéi », op. cit., p. 200. [↩]
17. François Mazois (1783-1826) est l’auteur de l’ouvrage fondamental Les Ruines de Pompéi, paru entre 1812 et 1829. Ses dessins préparatoires sont conservés au département des Estampes et de la photographie de la BnF. [↩]
18. Archives nationales, F/21/2134. [↩]
19. Je remercie Jérôme Delatour de m’avoir aidée à les localiser et Hélène Brun de m’avoir permis de les consulter. [↩]
20. Le Soleil, 17 mai 1897, p. 1. [↩]
21. Archives nationales, F/21/2134. Lettre de Pierre Gusman au Directeur des Beaux-Arts, datée du 8 janvier 1900. Sur les 38 aquarelles, 20 sont consacrées aux décors, 18 à l’architecture des maisons. [↩]
22. Hélène Dessales, op. cit. [↩]
23. August Mau, Geschichte der decorativen Wandmalerei in Pompeji, Berlin, G. Reimer, 1882. [↩]
24. La série compte 3 aquarelles pour le I^er style, 2 pour le II^e style, 4 aquarelles pour le III^e style, 11 pour le IV^e style. [↩]
25. Les numéros des espaces correspondent à ceux figurant sur les plans des maisons dans l’ouvrage Pompei : pitture e mosaici, Rome, 11 vol., 1990-2003. [↩]
26. Les légendes des aquarelles sont celles qui figurent sur la liste de Gusman, située en tête du recueil. [↩]
27. Giuseppina Cerulli Irelli, Masanori Aoyagi, Stefano De Caro (et al.), La Peinture de Pompéi : témoignages de l’art romain dans la zone ensevelie par Vésuve en 79 ap. J.-C., Paris, Hazan, 1993, vol. 2, p. 90. [↩]
28. Luigi Bazzani  a réalisé environ 240 peintures consacrées à Pompéi, d’une grande valeur artistique, dont certaines commandées par le Ministero della Pubblica Istruzione. [↩]
29. Pierre Gusman, Pompéi : la ville, les mœurs, les arts, Paris, L.-H. May, 1899, p. 366. [↩]
30. P. Mora, « Proposte sulla tecnica della pittura murale romana » in Bollettino dell’Istituto Centrale del Restauro, 1967, p. 63-84, cité par Irene Bragantini & Valeria Sampaolo, La pittura pompeiana, Electa, 2009, p. 32. [↩]
31. Pierre Gusman, La Décoration murale à Pompéi, Paris, A. Morancé, 1924, p. 7. [↩]
32. La maison est située en IX, 7, 13 par August Mau dans Römische mitteilungen, 1889, p. 101-117 et en IX, 7, 3 par Antonio Sogliano dans Notizie degli scavi, 1889, p. 126-130. [↩]
33. Pompei : pitture e mosaici, Rome, vol. X, p. 2, p. 52-61. [↩]
34. INHA, Archives 37/2/3. [↩]
35. Pierre Gusman, La Décoration murale à Pompéi, op. cit., p. 7. [↩]
36. Ibid. p. 8. [↩]
37. August Mau, op. cit., p. 366. [↩]
38. Pierre Gusman, Pompéi : la ville, les mœurs, les arts, op. cit., p. 368. [↩]
39. Irene Bragantini & Valeria Sampaolo, op. cit., p. 136-137, n° 26. [↩]
40. Giuseppina Cerulli Irelli, Masanori Aoyagi, Stefano De Caro (et al.), op. cit., vol. 2, p. 125. [↩]
41. Pierre Gusman, Pompéi : la ville, les mœurs, les arts, op. cit., p. 369 ; La Décoration murale à Pompéi, op. cit., p. 8. [↩]
42. Au sujet des photographies de Pierre Gusman, on se reportera aux travaux de Delphine Acolat et de Sandra Zanella. Voir notamment Sandra Zanella, « Pompéi à travers le regard d’un graveur. Les photographies de P. Gusman à l’INHA » in Delphine Acolat et Yvan Maligorne (dir.), Ruines méditerranéennes et photographies anciennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, p. 133-142 ; Delphine Acolat, « Archives photographiques et peintures pompéiennes in situ au XIX^e siècle : documentation de terrain, valorisation d’époque, lecture patrimoniale », AIPMA, 2024, p. 319-337. [↩]
43. Pierre Gusman in 24^e salon d’art photographique de Paris 1929, Paris, 1929, p. VII. [↩]
44. August Mau, « PIERRE GUSMAN, Pompéi, la ville, les mœurs, les arts. Préface de M. Max. Collignon. Ouvrage orné de 600 dessins dans le texte et de 32 aquarelles de l’auteur. Paris, Société française d’éditions d’art, L.-Henry May (1899) », Mittheilungen des Kaiserlich Deutschen Archäologischen Instituts, vol. XV, 1900, p. 121. [↩]
45. August Mau, Pompeii, its life and art, New York, MacMillan, 1899 ; Pompeji in Leben und Kunst, Leipzig, W. Engelmann, 1900. [↩]
46. Pierre Gusman, La décoration murale à Pompéi, op. cit., p. 5. [↩]
47. Je remercie Nadège Duqueyroix, Roxane Moine ainsi que Lucile Dessennes pour leur aide précieuse. [↩]
48. Jean Saudé, Traité de l’enluminure d’art au pochoir, Paris, Éditions de l’Ibis, 1925. Pierre Gusman possédait un exemplaire de ce traité, paru presque au même moment que La décoration murale à Pompéi, qu’il a légué à l’Institut avec le reste de sa bibliothèque. [↩]
49. Il semblerait toutefois qu’au moins une des planches (XIV) compte une partie noire imprimée. [↩]

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