Dans la série “Pressé d’Antique”, retrouvez les bons mots, anecdotes insolites et dessins humoristiques où les découvertes, savants et idées reçues sont moqués dans une presse déchaînée… L’Antiquité à la BnF retranscrit pour vous les pépites numérisées sur Gallica & Retronews.

Dans ce numéro du Journal amusant paru le 5 septembre 1857, l’auteur dépeint avec moult calembours ses contemporains influents dans le journalisme, du monde des lettres, des arts et du spectacle, sous les traits de la mythologie romaine. Saurez-vous reconnaître ceux qui figurent dans ce panthéon revisité? Nous avons tenté d’en déchiffrer quelques traits et de rapprocher ces portraits avec quelques caricatures contemporaines…

MYTHOLOGIE POUR RIRE

La mythologie est l’histoire fabuleuse des dieux et des héros de l’antiquité.

Fidèle à notre système d’éducation pour rire, nous allons passer en revue et continuer jusqu’à nos jours les dieux, voire même les demi-dieux,- car il y a des demi-dieux, comme il y a des demi-poëtes, des demi-Virgile¹ et des demi-tasse.²

JUPITER

était le roi de l’Olympe. De notre temps il est devenu le roi des journaux amusants;³ son temple est situé rue Vivienne, 55, au rez-de-chaussée à gauche.⁴ Une fontaine, on ne peut moins monumentale, élevée au milieu de la cour, lui est dédiée.⁵ — Ce qui ne veut pas dire que le Jupin⁶ de Vivienne street fasse de l’eau claire, loin de là!⁷

Comme aspect, c’est encore le Jupin de l’antiquité: carré des omoplates, rond de l’abdomen, rebondi du thorax, — regard olympien, lippe sensuelle, moustache plantureuse.⁸

Il copartage l’empire du Figaro avec Neptune-Bourdin et Plulon-Jouvin, ses gros beaux-fils.

La foudre est toujours dans sa dextre,⁹ mais il ne s’en sert que contre les Titans de février.¹⁰ Pendant la canicule, il est vêtu de blanc¹¹ et porte un chapeau de paille;¹² Auteuil le prend pour une rosière mâle.

HERCULE

est de haute taille, de vigoureuse encolure ; ses cheveux sont crépus, son teint est brun; Les biographes disent de lui : C’est un nègre. – Simple défaut de prononciation, il faut dire : C’est un aigle.¹³

Les anciens lui prêtent douze travaux; ses lecteurs sont impuissants à les énumérer tous.

Rien qu’en romans, il a publié une myriade de colonnes de journaux,¹⁴ qu’on a surnommés…. les colonnes d’Hercule.¹⁵

Le plus grand de ses travaux, qui rappelle celui des écuries d’Augias, est d’avoir purgé le boulevard du Temple des bouges souterrains de l’hôtel Foulon.¹⁶

Son meilleur travail… c’est son fils.

APOLLON

est le dieu de la poésie.

On le représente tantôt couronné de lauriers et pinçant de la lyre, tantôt conduisant l’ex-char de l’ex-provisoire.¹⁷

Il fait en ce moment un cours de littérature… sur le mont Parnasse.¹⁸

Les jeunes filles le suspendent dans les nuages, l’habillent d’une écharpe de tarlatane rose et le coiffent d’une auréole de gaz portatif; –  voilà pour le rêvé.¹⁹

Apollon prend du tabac, porte des lunettes²⁰ et couche avec un bonnet de coton; – voilà pour la réalité.

 HYACINTHE

jouait un jour au tonneau avec Apollon, dans le département de Seine-et-Oise.²¹

—Phoebus ayant atteint son ami avec un palet près d’Étampes, Hyacinthe tomba mort.²² – Apollon le ressuscita, et le changea en l’acteur qui porte son nez… — Pardon, je voulais dire qui porte son nom.²³

ANTÉE

le géant du café des Arts, hanté par un public nombreux.²⁴

CASTOR ET POLLUX

étaient deux jumeaux que leur mère ne pouvait mettre au monde, mais Jupiter l’aida.

De nos jours, ce sont les frères Lyonnet,²⁵ ainsi nommés parce qu’ils ne sont pas de Lyon.

PAN

inventeur de la flûte, de la terreur et des queues d’habit qui portent non nom.²⁶

TERME

le dieu des propriétaires.

Ce dieu tend tous les jours à augmenter.²⁷

VULCAIN

serrurier en jupons, patron des maris… cossus,²⁸ — un de nos grands acteurs tragiques ; avant Talma, nos pères avaient vu Lekain.

BACCHUS

gérant de la société des vins factices.²⁹ On a prétendu jusqu’ici que Bacchus était fils de Sémélé, que les marchands de mélanges prétendus oenophiles écrivent c’est mêlé;³⁰ nous penchons à croire que Bacchus était fils de Latone.

PERSÉE

breveté s. g. du g.³¹ pour la chaise à laquelle il a donné son nom.³²

ORPHÉE

créateur de l’Orphéon.³³

JANUS

que les Latins nommaient Julius Janinus, est représenté avec deux visages : l’un souriant pour les gloires qu’il a jadis éreintées, l’autre sarcastique et moqueur pour les célébrités qu’il portait aux nues.

Janinus, tantôt brûlant ce qu’il a adoré, tantôt adorant ce qu’il a brûlé, est le dieu de la versatilité littéraire. – Son autel est situé au rez-de-chaussée des Débats, où, comme la Sibylle de Cumes, il rend ses oracles sur des feuilles détachées, mais attachantes.

MELPOMÈNE

déesse de la tragédie, doit ses adorateurs à son immense talent.³⁴

Après un séjour en Egypte, où, du haut des pyramides, quarante siècles ne la contemplaient pas, elle est de retour.³⁵

Elle revient… non pour reprendre le sceptre de l’art …

Mais pour vendre à l’encan son temple de la voie trudon… — Félix quipotuit, etc.³⁶

Espérons quand même que Melpomène fera sa rentrée aux Français dans un char traîné par une foule enthousiaste.

La Ristori enlève les bravos, mais elle les arrache, elle.

La dame de carreau lui est dédiée.³⁷

ESCULAPE

était le général en chef des docteurs médecins praticiens.³⁸

Aujourd’hui encore sa statue décore le fronton de l’Académie de médecine avec cette légende antique : Veronus doclor.

Esculape, ancien pasteur de l’Opéra³⁹ et inventeur des mémoires… d’apothicaire,⁴⁰ est le créateur de pâte du bon jeune homme⁴¹ et le fondateur anonyme de prix littéraires qui portent son nom.⁴²

Désiré a pour armes parlantes « un bouquet de véronique⁴³ enveloppé dans une feuille de papier blanc, le tout » maintenu par un noeud de cravate. »

MERCURE

est l’âme du commerce, de la banque et du baromètre.

C’est lui qui, du temps des Romains, créa les chemins de fer : stradda ferrata, da Roma a Civita-Vecchia.⁴⁴

Il est représenté tenant d’une main une petite badine qu’il fait incessamment résonner sur les dalles du trottoir, de l’autre une réduction du palais de la Bourse.

Les Grecs l’adoraient sous le nom d’Hermès, dont, par corruption, on a fait Mirès.⁴⁵

LES SIRÈNES

étaient appelées par les anciens Parthénope et Leucosie ; les modernes les nomment madame Paul ou madame Jules.⁴⁶

Au lieu d’habiter les roches escarpées de la mythologie, la sirène demeure à l’hôtel; au lieu dé se tenir dans les eaux de Caprée, elle fréquente Dieppe, le Havre et Boulogne, de juillet à septembre.

La sirène se nourrit volontiers d’huîtres de Cancale ou de Marennes, de homards en salade, de soles normandes et de fritures d’éperlans; elle préfère le champ à l’eau salée.

A la saison des pluies la sirène quitte les rives de la mer et se réfugie dans le tourbillon de la grande ville, où, sous prétexte de table d’hôte, elle tient maison de biribi et d’amour, et joue à la hausse.

Une sirène, qui fait quelque peu le monde, présente sa note de frais et honoraires comme un avocat, et tient ses écritures comme un banquier.

La sirène des anciens chantait, de nos jours elle fait chanter.

LES TROIS PARQUES

étaient dans l’antiquité Clothon, Lachésis et Atropos; elles filaient la vie des mortels en partie triple : la première tenait la quenouille, la seconde le dévidoir, la troisième les ciseaux.

Ces trois vieilles fileuses manquaient complètement de gaieté ; aujourd’hui elles n’ont plus le fil et sont avantageusement remplacées par

• Le parc de Versailles,
• Le parc de Saint-Cloud,
• Le parc de Meudon,

Trois parcs infiniment plus agréables.

Arrêtons-nous sur ce tableau sylvestre, — la séance est levée.

ALEXANDRE FLAN

Lire également:

S. Aubenas, “Le Panthéon Nadar” En ligne

image mise en avant: “Les faux dieux de l’Olympe” par E. Forest, La Caricature n°98, 1832, pl. 200-201, avec les membres du gouvernement de Juillet en dieux de l’Olympe et la  personnification de concepts, collection Musée Carnavalet Parismusées. 

1. Virgile est connu pour sa virtuosité de versificateur avec l’hexamètre dactylique [↩]
2. L’auteur continue de décliner les jeux de mots autour des poètes, ici avec Toquato Tasso dit Le Tasse [↩]
3. sous ce portrait, on reconnaît la figure de Hippolyte de Villemessant, fondateur des journaux La Sylphide, Le Miroir des dames, Le Lampion (renommé La Bouche de fer), La Chronique de Paris (remplacée par La Chronique de France) avant de relancer Le Figaro [↩]
4. nouveau siège du Figaro voir l’article “Le roman du Figaro (4)” par B. de Saint Vincent avec J.-Ch. Chapuzet du 27/07/2006 en ligne [↩]
5. Possible allusion au contexte du décret de Saint-Cloud en 1806 ordonnant l’élévation de 15 fontaines à Paris. On connaît une fontaine de Neptune dans la cour des vieilles Tuileries, aujourd’hui 86 rue du Cherche-Midi. [↩]
6. selon le Littré: “forme abrégée de Jupiter en ancien français. On trouve dans le XVI^e siècle juppin signifiant polisson ; il est probable que c’est un dérivé du verbe juper, jupper, qui signifiait crier” [↩]
7. Le Figaro reste le journal subversif qu’il était sous Charles X, polémiquant désormais avec l’Empire, ce n’est qu’à la fin des années 1860 que le journal devient conservateur voir le bref historique sur retronews [↩]
8. Voir portrait photographique par Nadar, Estampes et photographie, FT 4-NA-236 (4) sur Gallica [↩]
9. allusion au penchant politique [↩]
10. Allusion à l’Empire et peut-être une référence au Journal des débats et des décrets devenu en février 1806 Journal de l’Empire, voir la notice historique sur retronews [↩]
11. fils du colonel Pierre Cartier et d’Augustine Louise Renée Françoise de Launay de Villemessant, il porte d’abord le nom de son père avant d’adopter celui de sa mère sous la forme Jean Hippolyte Auguste Delaunay de Villemessant; Le Figaro reste monarchiste jusqu’en 1880. [↩]
12. jeu de mots entre un chapô et le chapeau, et avec les pseudonymes dits “noms de paille” adoptés par les journalistes à l’époque? Villemessant utilisait celui de “Pierre et Jean” le désignant conjointement avec Albéric Second? [↩]
13. Il faut reconnaître Alexandre Dumas dans ce portrait, lui-même se décrit dans ses Mémoires comme un “nègre” avec des “chèvres crépus” et un “accent légèrement créole” [↩]
14. pratique du roman-feuilletton dont Dumas est l’un des pionniers [↩]
15. frontière du monde civilisé dans l’Antiquité, les colonnes d’Hercule ou d’Héraklès sont identifiées au rocher de Gibraltar voir notamment « Compte rendu ». Diogène n° 204, 2003. p.112-120, en ligne sur CAIRN [↩]
16. Le Théâtre Historique spécialisé dans la représentation des drames historiques d’Alexandre Dumas s’installa sur l’ancien Hôtel Foulon [↩]
17. Napoléon I^er . Gautier fit du projet de sa libération par des aventuriers anglais le sujet de son roman Les Deux étoiles d’abord publié en feuilleton dans La Presse en 1848, repris sous le titre Partie carrée en 1851 et renommé en 1865 La Belle Jenny [↩]
18. Théophile Gautier est un des membres précurseurs du mouvement littéraire du Parnasse [↩]
19. peut-être un écho à sa déclaration pour la prestation de la ballerine Carlotta Grisi: « Elle rase le sol sans le toucher. On dirait une feuille de rose que la brise promène » et à l’écriture du ballet Giselle et les Willis [↩]
20. Gautier souffre de myopie [↩]
21. Gautier et Nerval se sont connus au Lycée. [↩]
22. En 1841, Nerval subit une première crise nerveuse. [↩]
23. Gérard Labrunie devient Gérard de Nerval d’après le clos Nerval en Oise [↩]
24. Le café ou concert des Arts est ouvert en 1851, par André-Martin Pâris. Il devint très vite le Concert du Géant à cause de l’embauche de géants. [↩]
25. Anatole et Hippolyte Lionnet chanteurs et imitateurs [↩]
26. jeu de mot sur la flûte de pan, le bruit d’une détonation et  les vêtements dont les formes évoluent dans ces années 1850 comme les queues-de-pie et les queues-de-morue [↩]
27. jeu de mot sur les loyers dus à terme [↩]
28. Talma a révolutionné le costume de théâtre en portant des toges et jupes à l’antique, il fut un acteur très dispendieux. Les jeux de mots font par ailleurs allusion à Vulcain-Héphaïstos “serrurier” à sa forge, mari cocu de Venus-Aphrodite. [↩]
29. Une vague législative encadre la falsification des aliments aux lendemains de la Révolution. La loi de 1851 est étendue aux boissons en 1855. La notion de “vin factice” est admise si elle est clairement affichée, par exemple Observations sur les vins factices admis à l’exposition du Louvre en 1827, par M. Masson-Four [↩]
30. un des moyen d’obtenir des vins factices est de mêler le vin à d’autres ingrédients, voir entre autres: Guide pratique de la fabrication des vins factices et des boissons vineuses en général. [↩]
31. abréviation de « sans garantie du gouvernement »selon la  loi du 5 juillet 1844 art. 33 pour les brevets délivrés « sans examen préalable, aux risques et périls des demandeurs, et sans garantie soit de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l’invention, soit de la fidélité ou de l’exactitude de la description » [↩]
32. jeu de mot avec la chaise percée. En 1847 un brevet pour une chaise percée mécanique inodore a été accordé à M. Deckmyn et en 1849 à Leopold Fuvier pour une addition. [↩]
33. pourrait renvoyer à Louis Bocquillon, qui forgea le concept d’orphéon sur le nom d’Orphée pour l’enseignement du chant aux enfants dans les écoles, voir article Wikipedia [↩]
34. Élisabeth-Rachel Félix [↩]
35. En 1855, elle part pour une tournée aux États-Unis et revient en 1857 [↩]
36. elle habitait au 4 rue Trudon [↩]
37. La dame de carreau dans le jeu de cartes utilisant les enseignes françaises est nommée Rachel, probablement en référence à l’héroïne biblique. [↩]
38. Louis-Désiré Véron, voir “Le fabuleux destin de Louis-Désiré Véron” par Claude A. Planchon, Vesalius X, 2004, p. 20-24 en ligne [↩]
39. il dirige l’Opéra de Paris, rue Le Peletier de 1831 à 1835 [↩]
40. il fait paraître à partir de 1853 Les mémoires d’un bourgeois de Paris en cinq volumes [↩]
41. il fonde en 1826 une société de commerce pour la confection et le débit d’une pête pectorale élaborée par la pharmacie Regnauld [↩]
42. ce prix littéraire est réservé aux jeunes auteurs [↩]
43. pour Véron [↩]
44. La ligne est inaugurée en 1859 avec la participation d’un ingénieur français Guérin et d’un entrepreneur français Hubert Débrousse. [↩]
45. Jules Mirès fut banquier, homme de presse et financier. [↩]
46. Par exemple une maison close de Chartres rue des Juifs, “Le Chat noir” était tenue par madame Paul, et à Lyon, Madame Jules se trouvait au 17 rue Lanterne. Nous n’avons pu vérifier les dates d’activités de ces maisons et vérifier si le texte fait précisément allusion à ces deux maisons, à d’autres ou évoque leur existence de manière générique. [↩]

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