La vente romaine de la collection d’Alessandro Castellani (1823-1883) fut l’un des événements les plus importants du monde de l’art de l’année 1884. Du lundi 17 mars au jeudi 10 avril 1884 se pressa la fine fleur des marchands et collectionneurs, tant privés qu’institutionnels, au palazzo Castellani, 88 via Poli, à Rome, pour enchérir.

Wilhelm Froehner (1834-1925), chargé de la rédaction de la partie antique du catalogue de vente dont l’expertise avait été confiée à son ami et patron, le marchand Henri Hoffmann (1823-1897), a joué un rôle non négligeable au cours de cette vente, et nous a laissé un témoignage exceptionnel. La bibliothèque Herzogin Anna-Amalia de Weimar a numérisé l’exemplaire personnel annoté de Froehner du catalogue de la vente romaine de la collection Castellani, nous offrant de précieuses indications sur le nom des acheteurs et le prix de vente des objets de cette célèbre collection, d’autant plus que le procès-verbal de la vente n’a pas encore été retrouvé dans les archives italiennes. Sous réserve de l’exactitude des indications données par Froehner dans son catalogue annoté, il est désormais possible de connaître le nom de près de la moitié des acheteurs (ceux connus de Froehner) et des prix d’adjudication des différents numéros du catalogue.

Nous publions ici un tableau qui récapitule ces informations pour la partie des antiques (hors monnaies) : 

Vente Castellani 1884 catalogue annoté Froehner_PERRUNicolas

La vente romaine de la collection Castellani de 1884 concerne les collections du département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, car certaines œuvres y sont liées. Froehner, l’un des principaux donateurs de la Bibliothèque nationale et également rédacteur du catalogue de la vente qui nous préoccupe, a délié les cordons de sa bourse au moment de cette vente où il a acheté plusieurs lots.

Le buste féminin de Préneste (Froehner.IV.171) a ainsi été payé 30 F par notre collectionneur, le vase à vernis noir avec l’inscription Fortunai Pocolo (Froehner.1843 ; Froehner.IV.143) 51 F, le fond de verre avec la monnaie néronienne imprimée (Froehner.1367 ; Froehner.IV.157) 100 F, la tessère avec au droit le bélier courant vers la droite, la tête tournée en arrière (Froehner.254 ; Froehner.VIII.101) pour 51 F ou celle avec un buste de squelette (Froehner.228 ; Froehner.VIII.102) pour 32 F (avec un bouton non identifié), ou encore le camée représentant une main pinçant une oreille entourée d’une inscription grecque (Froehner.2050 ; Froehner.XIV.25) pour 56 F. L’intaille en nicolo à l’Amour chevauchant un coq (Froehner.2327) a été achetée en même temps que celle représentant un buste d’un personnage masculin barbu au centre, couronné par un Éros à gauche, et avec une femme assise à droite (Froehner.2686) pour 49 F. De même, le très beau jaspe rouge représentant Alexandre le Grand ou Hélios-Sol de face (Froehner.2252) a été acquis par Froehner pour 22 F. On ignorait jusqu’à présent quelle était l’origine de ces trois intailles de la collection Froehner, qui proviennent de la collection Castellani.

Froehner a donc dépensé au total 391 F au cours de cette vente. Par la suite, d’autres antiquités issues de la collection Castellani gagnèrent sa collection, comme le camée avec inscription grecque en agate-onyx blanc (Froehner.2057 ; Froehner.XIV.1a), acquis par un inconnu (en réalité Piéridès) pour 70 F. Quant au miroir avec l’inscription étrusque « Suthina » gravée au revers (Froehner.914 ; Froehner.V.205) qu’Hoffmann offrit par la suite à Froehner, il a été payé 25 F par le marchand au moment de la vente. La bague en or d’Isernia, comprenant trois lignes d’un texte osque, avait été achetée par Hoffmann 300 F à la vente Castellani. Il en fit ensuite cadeau à Froehner en 1889, qui, apparemment, la revendit 5000 F à Guilhou par l’intermédiaire de Sambon en 1905.

On peut aussi citer Gustave Schlumberger (1844-1929), dont l’anneau d’or magique à huit facettes (Schlumberger.156) provient de la vente Castellani. Le catalogue annoté de Froehner nous apprend qu’Hoffmann avait acquis l’anneau en question pour 320 F, qui a dû par la suite le revendre au collectionneur et byzantiniste.

Enfin, citons encore le cas de quelques belles intailles de la collection de Jean-Oscar Pauvert de la Chapelle (1832-1908), issues de cette même vente à laquelle notre collectionneur n’a pas directement pris part, puisque le catalogue annoté de Froehner nous donne d’autres noms d’acheteurs. Le scarabée archaïque grec en cornaline représentant un chien (peut-être Argos) (Pauvert.68) a été acheté par l’un des principaux donateurs de l’Ashmolean Museum d’Oxford, l’anglais Charles Drury Edward Fortnum (1820–1899) pour 550 F, qui dut par la suite la céder à Pauvert de la Chapelle. Les autres gemmes Castellani que possédait Pauvert de la Chapelle lui viennent très probablement du comte Michel Tyszkiewicz (1828-1897), qui avait acheté à la vente de 1884 le scarabée phénicien en jaspe représentant des lions attaquant un taureau (Pauvert.55) pour 1450 F, le scarabéoïde étrusque en cornaline représentant un chasseur ou un être hybride (Pauvert.80) pour 37 F, la cornaline avec le satyre à l’aulos (peut-être Marsyas) (Pauvert.119) pour 500 F et la magnifique cornaline de l’époque hellénistique représentant un potier façonnant une hydrie (Pauvert.106) achetée par Hoffmann pour le comte Tyszkiewicz moyennant 2110 F.

Les liens entre Pauvert de la Chapelle et le comte Tyszkiewicz sont connus, notamment par Ludwig Pollak, puisque le collectionneur français voyait souvent le comte polonais à Rome et qu’il le conseillait en matière de gemmes antiques (même s’ils ne s’entendaient guère)¹. On peut donc supposer un transfert de propriété des ces intailles Castellani à un moment ou un autre (sur la période 1884-1897) entre Tyszkiewicz et Pauvert de la Chapelle, ces deux grands amateurs de gemmes antiques.

Grâce à Froehner, figure incontournable des collections du département des Monnaies, médailles et antiques de la BnF, l’énigme du parcours des œuvres issues de la vente romaine Castellani de 1884 commence à être résolue. De nombreuses identifications sont encore à faire, et de nouveaux parcours émergent. Les collections de la BnF, notamment de gemmes antiques, par l’intermédiaire de Froehner et de Pauvert de la Chapelle, sont liées à Alessandro Castellani et à la vente romaine de son ultime collection.

Pour en savoir plus : 

• Sur la collection Froehner à la BnF : Nicolas Perru (31 décembre 2023). “Une « Schatzkammer » des petites antiques au Département des Monnaies, médailles et antiques ? Nouveaux regards sur la collection Froehner”. L’Antiquité à la BnF 
• Sur Froehner : Marie-Christine Hellmann (13 janvier 2009). “FROEHNER, Wilhelm – INHA – Institut national d’histoire de l’art“. Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale
• Sur les collections de Froehner conservées à Weimar : “Sammlung – Forschungsaktivitäten, Sammlungen und Bestände”

1. Aldona Snitkuviene, traduction française éditée par Paulette Pelletier-Hornby et François Queyrel avec la collaboration de Raphaël Tassin, Les comtes Tyszkiewicz de Biržai et leur héritage, Rome, Campisano, 2021, p. 59. [↩]

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