Dans la série “Pressé d’Antique”, retrouvez les bons mots, anecdotes insolites et dessins humoristiques où les découvertes, savants et idées reçues sont moqués dans une presse déchaînée… L’Antiquité à la BnF retranscrit pour vous les pépites numérisées sur Gallica & Retronews.

Ce récit, publié dans le journal satirique Le Pêle-Mêle du 20 juillet 1924, narre la découverte de la tombe inviolée du pharaon Tousenkamion. Ce texte fait évidemment écho à la mise au jour, en 1922, de l’hypogée de Toutankhamon par Howard Carter – devenu ici Népomucène Bombyx -, sous le patronage de Lord Carnarvon – dans l’article un américain de Philadelphie, master Picook. L’irruption dans la narration de la boîte de conserve et de la réfrigération renvoie sans doute à la puissance industrielle américaine telle qu’elle était perçue en France depuis la fin de la Première guerre mondiale.

LA MOMIE DU PHARAON

L’archéologue Népomucène Bombyx explorait la Vallée des Rois, en Égypte, où l’avait conduit la fantaisie d’un milliardaire américain.

— Tâche donc de me rapporter une momie de Pharaon, lui avait dit ce puissant manieur de dollars. J’en veux faire don au musée de Philadelphie.

Au cours d’un précédent voyage au pays de Cléopâtre, Népomucène Bombyx avait repéré un hypogée jusqu’ici inviolé.

Sûr de la réussite, il se mit allègrement à l’œuvre, dès qu’il eut la commande.

— C’est Ici! dit péremptoirement l’archéologue à son jeune élève Tranquille Komebatiste qui le secondait dans tous ses travaux.

Les deux hommes pénétrèrent dans la nécropole par une ouverture basse et dissimulée que Bombyx était le seul à connaître, parmi les égyptologues acharnés à secouer de leur torpeur des gens qui avaient prié qu’on ne les réveillât sous aucun prétexte.

Ils descendirent une pente raide et arrivèrent à l’entrée d’une galerie élevée et spacieuse, flanquée de chambres et de niches. Continuant leur route souterraine, après avoir passé sous une sorte de portique, ils se trouvèrent, enfin, dans la salle funèbre.

Au milieu de cette salle se dressait un énorme sarcophage de granit vert, fermé d’une dalle pareille.

Népomucène Bombyx se découvrit et dit avec emphase, pour l’édification de son élève :

— Dans ce sarcophage, repose, momifié, doré et enveloppé de plusieurs boîtes précieuses, un puissant monarque qui fit trembler le monde antique d’un seul froncement de sourcil.

Il se recueillit un instant et, s’adressant cette fois à la momie, proclama :

— Excuse-moi, Ô Pharaon !, du geste sacrilège que je vais commettre. C’est pour la science, pour master Picook et le musée de Philadelphie.

Et il fit signe aux ouvriers de desceller la dalle de granit. Quand ce fut fait, l’archéologue plongea une main fébrile dans le sarcophage. Il en retira, devinez quoi ? Une boîte de conserves, deux, trois boîtes de conserves et une infinité d’autres semblables. De momie, point !

— Que signifie cette plaisanterie? s’écria-t-il.

La clef de l’énigme était au fond du sarcophage sous la forme d’un papyrus.

Népomucène Bombyx déchiffrait les hiéroglyphes comme vous et moi lisons l’Intran¹.

Il parcourut le papyrus et la stupéfaction se peignit sur les traits

— Qu’avez-vous donc lu, maître ? Interrogea l’élève.

— Ceci : Ci-gît la dépouille mortelle du puissant Pharaon Tousenkamion, frigorifiée et mise en boîtes stérilisées, selon le procédé de la maison Ratlokoum and Co de Thèbes, en l’an 2344 avant J.-C.

L’archéologue resta un moment pensif et dit :

— Je sais bien qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Pourtant, je croyais le frigorifique d’invention beaucoup plus récente. Cette découverte me renverse ! Ah ! ces Égyptiens ! quels génies !

— Moi, fit le jeune élève, ce qui m’étonne davantage des Égyptiens, c’est qu’ils savaient déjà, il y a 4268 ans, que Jésus Christ viendrait au monde 2344 ans plus tard !

Raoul Thomen, dans le Pême-mêle, 20 juillet 1924, p. 16

1. L’intransigeant est quotidien français, qui a paru entre 1880 à 1948. [↩]

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