Adolphe Raifé (1802-1860) est un collectionneur parisien méconnu qui constitue, tout au long de sa vie, un vaste ensemble d’objets archéologiques décrit par l’archéologue François Lenormant dans le catalogue publié à l’occasion de la vente organisée à Drouot sept ans après la mort d’Adolphe Raifé, à l’initiative de son gendre Gustave Gosset. En dépit de cette publication inventoriant la collection, aucune recherche ne s’est jusqu’à présent consacrée à l’étude de cette personnalité du monde antiquaire parisien du milieu du XIXe siècle, raison pour laquelle il semble utile d’établir à présent une biographie liminaire, pour ensuite concentrer notre attention sur les antiquités de sa collection qui ont intégré dans les années qui ont suivi la vente les collections de la Bibliothèque nationale de France.

Adolphe Raifé, un collectionneur méconnu du milieu du XIXe siècle
À quelques reprises dans ses jeunes années, Adolphe Raifé est qualifié d’artiste1. Sa production demeure toutefois peu documentée en l’absence d’un corpus conséquent d’œuvres ; notons toutefois que trois d’entre elles – deux gravures et une lithographie – sont conservées à la BnF2.
L’activité qui semble occuper la majorité de l’existence d’Adolphe Raifé est celle d’« archéologue », puisqu’il se présente lui-même ainsi dans les actes administratifs pendant près de trente ans3. Pour autant, le terme doit être employé avec précaution puisque la documentation jusqu’ici réunie ne permet pas d’établir un quelconque emploi dans des institutions ni qu’il ait organisé ou même participé à des fouilles. Il semble plutôt qu’il faille le considérer comme un bourgeois passionné par l’histoire et les arts et qui, après avoir voyagé en Orient dans les années 1820 et 1830, a consacré son temps et son argent à la formation d’une riche collection d’antiquités en achetant sur le marché parisien, tant lors de ventes aux enchères qu’auprès d’antiquaires.


Parcourir le catalogue de vente de cette collection permet de se rendre compte de sa variété : aux monuments égyptiens succèdent les antiquités orientales, grecques et romaines mais aussi, ce qui est plus original au milieu du XIXe siècle, des antiquités américaines et asiatiques4.

La collection, qu’Adolphe Raifé conserve intégralement dans sa maison parisienne située rue de Lille, n° 9, fait l’objet de toute son attention : il l’étudie et complète ses observations par la consultation des nombreux livres qu’il accumule dans sa bibliothèque. Ce n’est donc pas seulement une logique de collectionnisme mais bien une volonté d’examiner et de comprendre ces témoignages de l’Antiquité qui anime Adolphe Raifé dans son goût pour l’accumulation. L’érudit ne publie cependant pas ses recherches et ne prétend pas être un savant. Selon François Lenormant :
« il se contentait d’être un amateur distingué et de travailler pour lui-même »5.
Précisons que si les recherches se sont jusqu’à présent concentrées sur l’étude des objets antiques, la collection d’Adolphe Raifé était bien plus diversifiée puisqu’elle comprenait des gravures, des estampes, des dessins, des livres et des objets d’art et de curiosités. Ces ensembles, réunis par Adolphe Raifé tout au long de sa vie, ont été dispersés lors d’une succession de ventes publiques entre 1863 et 1867. Les nombreux objets du Moyen Âge et de la Renaissance n’ont jusqu’à présent pas fait l’objet d’étude spécifique mais quelques objets sont identifiés dans des musées, notamment une poire à poudre en cuivre doré de la fin du XVIe siècle, désormais au Metropolitan Museum of Art de New York6. À la BnF, le camée 1987.470, acquis en 1987, pourrait également provenir de la collection formée par Adolphe Raifé.

Les monnaies, médailles et antiques de la collection Raifé sont dispersées par le commissaire-priseur Victorien Delbergue-Cormont du 18 au 23 mars 1867, et produisent un total de 41 404 francs. L’étude de cette vente est permise par l’analyse conjointe du catalogue de vente et du procès-verbal conservé aux Archives de Paris (D.60E3 17). De nombreux collectionneurs se portent acquéreurs d’ensembles plus ou moins conséquents. Le musée du Louvre est la seule institution à acheter directement et en son nom des objets. Néanmoins, dans les années qui suivent et jusqu’à nos jours, de nombreuses antiquités ont intégré les collections muséales ; citons, entre autres, le musée du Louvre à Paris, le musée cantonal d’archéologie et d’histoire à Lausanne, le British Museum à Londres, les Musées royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles et le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.
Avec treize objets identifiés dans ses collections, la BnF n’est pas l’hôte le plus significatif en termes quantitatifs bien que plusieurs de ces antiquités revêtent un intérêt pour l’histoire de l’art. Bien que la collection Raifé soit particulièrement variée, seules des antiquités gréco-romaines et une phénicienne y sont présentes. Nous évoquerons seulement les objets vendus au cours de la vente Raifé et dont le lien est assuré avec ceux conservés à la BnF. Nous présenterons donc d’abord succinctement les objets concernés avant de nous attarder davantage sur quelques exemples, en abordant des cas d’identifications assurés et d’autres plus hypothétiques pour exposer l’intérêt et les difficultés du travail de recherche des provenances.
Les objets conservés à la Bibliothèque nationale de France et qui sont actuellement identifiés comme ayant été vendus aux enchères lors de la vente Raifé en 1867 se divisent en trois catégories :
Nous focaliserons notre attention sur un objet de chacune de ces catégories.
La statuette représentant Jupiter assis (bronze.18)

Haute de 11,8 centimètres, cette sculpture en bronze de l’époque romaine représente Jupiter assis – le trône n’est pas conservé –, tenant dans sa main droite le foudre, posé sur son genou droit, tandis que sa main gauche levée tenait certainement à l’origine un sceptre. Le dieu est vêtu d’une chlamyde qui enveloppe ses jambes et dont quelques plis retombent sur son épaule gauche. Il porte des sandales. D’épaisses mèches de cheveux encadrent son visage et forment au centre de son front une anastolé.
Le bronze est acheté par Auguste Oppermann (1808-1877), militaire de carrière, lors de la vente Raifé pour 245 francs ; une somme relativement importante par rapport aux autres bronzes de la vente et qui atteste de la reconnaissance de la qualité de la sculpture dès cette époque. Auguste Oppermann décide de léguer sa collection au Cabinet des Médailles en 1874. Il s’agit d’un événement clef dans l’arrivée d’objets de la collection Raifé à la BnF. En effet, onze des treize antiquités de la collection Raifé aujourd’hui identifiées à la BnF ont été achetées par A. Oppermann durant la vente de 1867 et ont été léguées en 1874. Ajoutons que trois lots achetés par Auguste Oppermann à la vente Raifé n’ont pas encore été identifiés mais figurent sans doute dans les collections de la BnF, raison pour laquelle le chiffre de treize objets identifiés est provisoire, trois autres potentiels objets étant encore à trouver.
Cette histoire des collections nous confirme ainsi que le bronze de la BnF correspond assurément à celui de la collection Raifé. La description contenue dans le catalogue de cette dernière nous apporte une précision concernant sa provenance : « Collection Ruxiel ». Cette courte indication pourrait nous permettre d’améliorer notre connaissance du parcours moderne de l’objet. La littérature ne mentionne presque jamais un collectionneur du nom de « Ruxiel ». En revanche, le sculpteur belge Henri-Joseph Rutxhiel (1775-1837), parfois orthographié Ruthiel, a possédé une collection, comprenant de nombreuses antiquités, qui a été vendue en 1833 et en 1837. Nous supposons donc que le catalogue Raifé se réfère à la vente Ruxthiel. Seuls deux Jupiter antiques en bronze sont mentionnés dans le catalogue de cette collection. Si l’un d’eux ne correspond ni à la description ni aux dimensions de la sculpture de la BnF, l’autre pourrait correspondre. Il est d’abord proposé à la vente en 1833 (n° 121, Lugt 13245) puis, avec la même description, en 1837 (n° 85, Lugt 14846)10.

L’identification est toutefois incertaine puisqu’aucun attribut ne permet de reconnaître Sérapis ; il n’a, par exemple, ni cornes ni kalathos ; l’anastolé pourrait éventuellement expliquer cette identification ancienne. L’absence de dimensions ne permet pas de favoriser ou d’infirmer cette hypothèse. Observons toutefois que le catalogue de la collection Rutxhiel précise « bronze romain d’une parfaite conservation » tandis que celui de la collection Raifé indique « Beau travail romain ». Ces deux descriptions insistent donc sur l’état de l’œuvre ; une observation de la sculpture confirme la qualité de son exécution dans le modelé des drapés, la représentation de la musculature et le travail minutieux de la barbe et de la chevelure de Jupiter11.
Plusieurs possibilités peuvent ainsi être envisagées : soit il s’agit d’une erreur de l’auteur des notices des années 1830 et il ne s’agit pas d’un Jupiter Sérapis mais simplement d’un Jupiter, soit l’objet provient bien de la collection Rutxhiel mais il n’est pas précisément décrit ou n’est pas catalogué, auquel cas il ne s’agit pas de l’objet décrit et cité ci-dessus mais d’un objet sans numéro de catalogue, soit François Lenormant se trompe lorsqu’il mentionne comme provenance la collection Ruxiel, soit enfin la « collection Ruxiel » ne correspond pas à la collection Ruxthiel. À ce stade, nous ne pouvons donc pas affirmer que l’œuvre décrite en 1833 et 1837 est celle de la BnF ; ce n’est qu’une hypothèse, ce type de statues de Jupiter étant d’ailleurs répandu. De futures recherches permettront peut-être de confirmer, ou non, la relation existant entre le bronze de la BnF et la vente Rutxhiel. Ce cas particulier rappelle la nécessaire prudence dans l’appréhension des notices des catalogues de vente du XIXe siècle.
La bague phénicienne en or (de Clercq.2657)

Le chaton ovale et légèrement courbe de la bague en or de Clercq.2657 est incisé d’un décor représentant au centre un scarabée ailé volant au-dessus d’une barque divine occupant presque toute la largeur de l’espace disponible. Un oiseau est posé sur la proue de l’embarcation, un autre sur la poupe.
Le catalogue de la vente Raifé fournit une provenance archéologique : la nécropole de Tortose (Tartous, en Syrie). La date et le contexte de la découverte sont toutefois inconnus. La bague est acquise par Louis De Clercq (1837-1901) lors de la vacation du 19 mars 1867 pour 56 francs.
Louis de Clercq voyage en Orient en 1859-1860, en 1862-1863 et en 189312. Ses deux premiers voyages affirment son goût pour l’archéologie et expliquent sans doute sa présence à la vente Raifé quelques années plus tard ; il forme sa collection pendant près de quarante ans et, grâce à une fortune considérable, achète « sans compter les pièces de choix en donnant ses préférences, comme avant lui le duc de Luynes, à l’Orient et aux arts qui sont imprégnés des influences orientales »13. Louis De Clercq est d’ailleurs l’un des principaux acquéreurs de la vente Raifé et achète, en plus de cette bague, de nombreuses antiquités orientales, certaines étant désormais au musée du Louvre où elles sont exposées14.

La collection assemblée par Louis De Clercq est publiée dans une succession de volumes, le premier paraît en 1885 et le dernier en 1911, c’est-à-dire une décennie après sa mort. La bague figure dans la deuxième partie du tome VII consacré aux bijoux et pierres gravées15.
Dès 1904, la nécrologie publiée dans la Revue internationale de l’enseignement souligne qu’il « importe que la collection ne soit pas plus dispersée que ne l’a été celle du duc de Luynes »16, intégralement donnée au Cabinet des Médailles en 1863. Ce parallèle entre Louis De Clercq et le duc de Luynes est d’autant plus pertinent que, comme celle du duc, la collection De Clercq intègre les collections publiques en 1967, année durant laquelle le petit neveu de Louis De Clercq, le comte Henri de Boisgelin, décide de faire don de la collection avec son épouse Rachel Strong, comtesse de Boisgelin17. Les conservateurs du musée du Louvre et du Cabinet des Médailles, représenté par Georges Le Rider, aidé d’Henri Seyrig, se rendent alors à l’hôtel de la rue Masseran et y sélectionnent les œuvres qu’ils souhaitent intégrer à leurs collections18. La bague en or est l’un des nombreux objets choisis et intègre ainsi les collections de la BnF, ce qui permet de retracer avec certitude l’histoire de cette bague de 1867 à nos jours.
La statuette d’Aphrodite et Pan (Oppermann.tc.44)

Toutes les terres cuites de la collection Raifé qui sont conservées à la BnF ont intégré les collections par l’intermédiaire du legs d’Auguste Oppermann en 1874. La figurine moulée Oppermann.tc.44 représente la déesse Aphrodite debout, nue, tenant avec sa main droite levée une mèche de cheveux tandis qu’elle repousse de sa main gauche un satyre essayant de l’enlacer. L’œuvre est intéressante en raison de sa provenance : Adolphe Raifé l’achète lors de la vente de la collection de Désiré Raoul Rochette (1790-1854), conservateur au Cabinet des antiques. Autrement dit, un objet antique ayant appartenu à l’une des principales personnalités du département des Monnaies, médailles et antiques a intégré en 1874 les collections de l’institution sans que son histoire moderne n’ait été connue. Ce n’est que par la consultation systématique des archives des ventes aux enchères du XIXe siècle, notamment rendue possible par un programme de recherche en cours de l’INHA, que cet objet de la BnF a pu retrouver une part de son histoire.

Conclusion
L’étude du catalogue de la vente Raifé permet d’identifier au moins treize antiquités dans les collections de la Bibliothèque nationale de France. Bien que le legs d’Auguste Oppermann constitue l’intégration la plus importante d’antiquités de la collection Raifé à la BnF, la diversité des modalités d’arrivée de ces objets dans les collections de l’institution confirme aussi la difficulté de retracer le parcours des nombreux antiques présents sur le marché de l’art parisien du XIXe siècle.
La variété des typologies et des provenances de ces œuvres antiques rend également compte de la richesse des collections et de l’intérêt archéologique de l’étude de ces objets qui nous renseignent sur l’histoire et l’art des civilisations antiques autant qu’elles nous sont utiles pour comprendre leur réception à l’époque moderne.
Paul Lavieille
- Archives municipales de La Rochelle, 2I 5/50, Registre des visas, livres-souches (du 13/07/1825 au 28/07/1826). Nous remercions Monsieur Roger Gonin pour le partage de cette archive. Ce document indique qu’Adolphe Raifé s’est vu délivrer un passeport en 1825 pour se rendre à Bordeaux, en passant par La Rochelle, peut-être en lien avec sa pratique artistique. [↩]
- Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Estampes et photographie, SNR-3 (RAIFE, Adolphe). [↩]
- Par exemple dans l’inventaire après décès de sa femme Adélaïde Amélie Dupré, le 16 avril 1849 (Archives nationales, MC/ET/LXXVI/798, minutes de Valentin Étienne Frémyn). [↩]
- Lenormant, François, Description des Antiquités égyptiennes, babyloniennes, assyriennes, mèdes, Perses, phéniciennes, grecques, romaines, étrusques et américaines composant la collection de feu M. A. Raifé, 1867. [↩]
- Lenormant, François, Description des Antiquités égyptiennes, babyloniennes, assyriennes, mèdes, Perses, phéniciennes, grecques, romaines, étrusques et américaines composant la collection de feu M. A. Raifé, 1867, p. VII. [↩]
- Delange, Carle, Catalogue des objets d’art et de curiosité du Moyen-âge et de la Renaissance composant la collection de feu M. A. Raifé, 1867, p. 38, n° 374. L’objet est acheté 920 francs par William H. Riggs (1837-1924) qui en fait don au MET en 1913 : New York, Metropolitan Museum of Art, 14.25.1493. [↩]
- BnF, MMA, bronze.18 ; bronze.31 ; bronze.608 ; bronze.718 ; Froehner.653. [↩]
- BnF, MMA, de Clercq.2657. [↩]
- le vase BnF, MMA, De Ridder.950 et les figurines BnF, MMA, Oppermann.tc.1 ; Oppermann.tc.14 ; Oppermann.tc.44 ; Oppermann.tc.60 ; Oppermann.tc.79 ; Oppermann.tc.103. [↩]
- L’objet est probablement vendu en 1837 sans qu’Adolphe Raifé l’achète directement puisqu’il est plutôt présent dans les ventes des années 1850 ; le procès-verbal n’est toutefois pas conservé aux Archives de Paris, ce qui ne permet pas de déterminer le nom de l’acquéreur et donc de préciser le parcours de l’œuvre. [↩]
- Nous remercions Madame Mathilde Avisseau-Broustet de nous avoir permis d’examiner directement la statuette en bronze. [↩]
- Le Rider, Georges et Seyrig, Henri. « Objets de la collection Louis De Clercq donnés en 1967 au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale par le comte et la comtesse Henri de Boisgelin », Revue numismatique, 6e série – Tome 9, année 1967, p. 8. [↩]
- Derenbourg, Hartwig, « I. — Louis de Clercq », Revue internationale de l’enseignement, tome 48, Juillet-Décembre 1904, p. 28. [↩]
- Il s’agit d’un fragment de bas-relief de Khorsabad AO 22195, représentant la tête d’un serviteur, et un bas-relief de Nimroud AO 22198 représentant un génie ailé. [↩]
- Ridder (de), André, Collection de Clercq : catalogue. Tome VII, Les bijoux et les pierres gravées. 2ème partie, 1911, p. 527, n°2657 et pl. XVIII, n° 2657. L’empreinte utilisée pour illustrer la bague pourrait être celle qui est conservée à la BnF. [↩]
- Derenbourg, Hartwig, « I. — Louis de Clercq », Revue internationale de l’enseignement, tome 48, Juillet-Décembre 1904, p. 434. [↩]
- Le Rider, Georges et Seyrig, Henri. « Objets de la collection Louis De Clercq donnés en 1967 au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale par le comte et la comtesse Henri de Boisgelin », Revue numismatique, 6e série – Tome 9, année 1967, p. 7. [↩]
- Les objets non sélectionnés sont vendus, notamment au marchand grec Nicolas Koutoulakis. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Paul Lavieille (14 octobre 2024). Les antiquités de la collection Raifé à la BnF. L’Antiquité à la BnF. Consulté le 15 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12hg5